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s’accompagner tantôt d’idées abstraites, tantôt d’émotions ou de sentiments.

De même, je ne puis voir une différence essentielle entre la force qui pousse et la force qui attire. Si j’essaye d’analyser le sens de ces mots, il me semble qu’ils ont été adoptés à cause de leurs connexions avec certaines idées qui n’ont d’ailleurs pas d’importance en l’espèce. Pousser implique une idée de contrainte pénible ; attirer au contraire indique une marche volontaire, agréable. Mais cela n’a rien à faire ici : comment les phénomènes qui suivent une idée ou une sensation pourraient-ils être suscités malgré eux ou avec leur consentement ? Si d’ailleurs nous examinons le fond de la question, nous voyons que la sensation et l’idée abstraite attirent ou repoussent exactement de la même manière ; voyons ce que M. Fonsegrive dit de l’influence de l’idée : « L’idée ne peut plus être en communication avec les mouvements organiques à titre d’effet, elle ne l’est plus qu’à titre de cause. Ces organes la représentent, l’expriment, forment comme son corps, son vêtement ; c’est l’idée qui dirige ces mouvements et qui anime ces organes. » Essayez de remplacer le mot idée par le mot sensation, et appliquez la description à l’état d’un homme qui a soif et qui boit. Elle s’adaptera parfaitement.

La sensation et l’idée sont également causes de mouvements ; elles sont aussi, quoique différemment, le produit des conditions antécédentes. Sans doute la sensation dépend plus directement des conditions extérieures du moment, mais l’idée en dépend à quelque degré, car nos idées sont souvent éveillées par les circonstances, et d’autre part la sensation est, comme l’idée, l’expression d’un état permanent de l’organisme. S’il est un fait avéré en psychologie, c’est le rôle de l’activité cérébrale dans toute perception ; toute sensation porte dans une certaine mesure la caractéristique de la personnalité où elle se produit. Ainsi dans un acte nous avons une série d’impressions, de sensations, d’idées, de sentiments, de mouvements. Ces divers phénomènes sont toujours réunis par un lien de finalité ; qu’il y ait ou non une idée abstraite de produite, chacun peut être considéré comme une cause par rapport à ce qui le suit, comme un effet par rapport à ce qui le précède. De plus, en considérant l’ensemble des phénomènes et l’harmonie qu’ils présentent, un des termes de la série peut apparaître comme cause finale, la cause finale étant simplement l’effet d’une série de phénomènes harmoniques, produits ou non avec intelligence.

« Un conflit s’élève souvent entre le mécanisme des tendances et les aspirations au bien ; c’est ce conflit qui constitue le matériel complet de la volonté. Comment la volonté s’applique à ce matériel, quel usage elle en fait, quelle forme elle lui donne, c’est ce qui nous reste à déterminer. » La formule du matériel de la volonté ainsi exprimée ne paraît pas tout à fait satisfaisante, comme cela résulte naturellement de ce que je viens de dire ; passons au formel de la volonté, où nous rencontrerons directement la question du libre arbitre.