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pour base par M. Renouvier dans son dernier ouvrage pour la classification des doctrines, est irréductible et ne peut s’évanouir dans une synthèse supérieure. M. Fonsegrive, d’ailleurs, paraît être de cet avis, puisqu’il admet, comme nous le verrons, que l’indétermination du futur est indispensable au libre arbitre. Or la première des catégories de croyances établie par M. Fonsegrive est manifestement déterministe, la seconde est aussi manifestement indéterministe, la troisième est à la fois déterministe et indéterministe, le quatrième ne serait ni l’un ni l’autre (bien qu’en réalité Hume et Stuart Mill donnés pour types de ces croyances soient déterministes) ; quant à la cinquième, il est difficile de dire ce qu’elle est et elle paraît surtout manquer de précision à l’égard du problème de la détermination universelle ou de l’ambiguïté de certains futurs. Au reste, la classification de M. Renouvier et celle de M. Fonsegrive pourraient parfaitement coexister, celle-ci complétant celle-là, à condition que la cinquième catégorie de M. Fonsegrive fût mieux déterminée. Il est en effet plusieurs manières d’être indéterministe ou déterministe.

II. — Passons à la théorie. M. Fonsegrive commence avec raison par déterminer la nature et l’étendue du problème, par indiquer ce qu’il faut entendre par libre arbitre et quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes de l’existence de ce pouvoir.

« Nous appelons libre arbitre, dit l’auteur, le pouvoir en vertu duquel l’homme peut choisir entre deux actions contraires sans être déterminé par aucune nécessité. » Les caractères de l’acte libre sont la contingence, la spontanéité, l’intelligence. On voit que, au fond, l’acte libre ne peut se distinguer essentiellement de l’acte déterminé que par la contingence. En effet, ni la spontanéité ni l’intelligence ne peuvent être déniées aux actes déterminés, si l’on voit dans le déterminisme la théorie qui fait de chaque phénomène le seul conséquent possible des phénomènes précédents. La contingence paraît donc rester, comme l’a établi M. Renouvier, la vraie marque de l’acte libre ; il ne peut guère en être autrement pour M. Fonsegrive, qui s’explique d’ailleurs très nettement sur le fait même de la contingence. « Nous donnons, dit-il, au mot contingence sa vraie et pleine signification, que Leibnitz ne lui donnait pas. Pour lui, étant donnée la constitution de la monade, son action devenait inévitable, infaillible ; une intelligence quelconque pouvait, étant donnés l’état présent d’une monade et la loi de son développement, déduire infailliblement tous les états futurs de cette même monade. Nous croyons au contraire que si l’homme est libre, l’âme peut se modifier elle-même et par conséquent que la connaissance parfaite de son état présent ne suffirait pas pour prédire infailliblement toutes ses actions futures. Le contraire de son action n’a donc pas une possibilité purement abstraite, mais, si l’on peut dire ainsi, une possibilité effective. Nous ajoutons donc à l’idée de Leibnitz l’ambiguïté des futurs contingents, et nous nous rangeons à l’opinion de M. Renouvier… Avec l’humanité tout entière nous faisons de l’expression