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ANALYSES.g. fonsegrive. Le libre arbitre.

à peu près que les deux parties du livre de M. Fonsegrive forment presque deux ouvrages.

Je n’examinerai pas en détail la partie historique. En voici la conclusion. M. Fonsegrive arrive à cinq doctrines différentes sur le libre arbitre, que l’on pourrait, dit-il, établir à priori, par la logique pure, et que l’histoire nous montre toutes adoptées par quelque penseur. Ce sont la thèse, l’antithèse, la négation de la possibilité d’une synthèse, la synthèse négative, et enfin la synthèse véritable. Voici comment l’auteur les formule :

« 1o Ou l’on admet le principe de la conservation de la force, l’unité absolue de l’univers dépendant d’un principe immanent ou transcendant, et l’on nie le libre arbitre ; on assure la science et on tâche d’expliquer sans liberté les notions morales ; c’était jadis la position des stoïciens ; ce fut ensuite, à des degrés divers, celle de Wickleff, de Luther, de Calvin, de Descartes, de Malebranche, de Spinoza, de Leibnitz ; c’est encore celle des monistes anglais ou allemands, de M. Herbert Spencer, de M. Hæckel, de la plupart des savants contemporains.

« 2o Ou l’on admet le libre arbitre, un pouvoir absolu de commencer des actions nouvelles, et l’on conteste la valeur absolue des principes scientifiques et métaphysiques ; on fonde aisément la morale, mais on met la science en péril ; c’était ce que soutenaient les Épicuriens, ce qu’ont soutenu depuis avec des nuances diverses Pélage, Scot Erigène, et de nos jours M. Secrétan, M. Renouvier et toute son école.

« 3o Ou l’on affirme à la fois la croyance à la liberté et à la nécessité, en déclarant insoluble le problème de leur conciliation ; c’est l’opinion de Dubois-Reymond, c’était aussi celle de Bossuet.

« 4o Ou on nie à la fois la nécessité et la liberté, et on réconcilie ainsi les deux adversaires en les renvoyant dos à dos ; c’est la position de Hume et de Stuart Mill.

« 5o Ou enfin on tente de concilier ces deux doctrines si différentes ; on montre alors, élargissant la voie indiquée par le dogme catholique, tracée par saint Augustin, saint Thomas et par Leibnitz même dans certains écrits, que le bien anime le monde, que tout agit librement et cependant avec raison, que l’unité n’est pas abstraite, mais vivante, harmonieuse, esthétique, aimante, morale plus encore que géométrique, et que de ce point de vue supérieur on voit les apparentes antinomies se fondre, se concilier et en définitive s’évanouir. Tel était probablement le fond de la pensée d’Aristote ; ainsi pense encore M. Ravaisson. »

Cette classification est ingénieuse ; toutefois on peut y trouver à reprendre, comme à toutes les classifications. Le défaut principal me paraît être qu’elle ne met pas suffisamment en lumière l’opposition irréductible des deux systèmes de l’indéterminisme et du déterminisme. Ou tout est déterminé, ou tout ne l’est pas, ou il y a des futurs ambigus, ou il n’y en a pas : il est bien évident que cette opposition, prise