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RIBOT.le mécanisme de l’attention

le mouvement produit, c’est la restitution au dehors, c’est l’évanouissement de l’état de conscience ; la force nerveuse qui le produit se transformant en impulsion motrice. La pensée, dit Setchénof, est un réflexe réduit à ses deux premiers tiers ; et Bain plus élégamment : « Penser, c’est se retenir de parler ou d’agir.

Pour conclure, voyons ce qu’il faut entendre par l’expression courante : « Diriger volontairement son attention sur un objet », et ce qui se passe en pareil cas.

« Ce qui a lieu dans ce cas, dit excellemment Maudsley, n’est autre chose que l’excitation de certains courants nerveux d’idéation et leur maintien en activité, jusqu’à ce qu’ils aient amené à la conscience par l’irradiation de leur énergie toutes les idées associées ou au moins un aussi grand nombre d’idées qu’il est possible d’en mettre en activité dans l’état momentané du cerveau… Il paraît donc que la force que nous appelons attention est plutôt une vis à fronte qui attire la conscience qu’une vis à tergo qui la pousse… La conscience est le résultat, non la cause de l’excitation. Le langage psychologique à la mode renverse cette proposition et met, comme on dit vulgairement, la charrue devant les bœufs ; car dans la réflexion il ne s’agit pas, comme on l’admet habituellement, de diriger la conscience ou l’attention sur l’idée, mais de donner à l’idée une intensité suffisante pour qu’elle s’impose à la conscience[1]. »

L’attention est un état momentané, provisoire, de l’esprit ; ce n’est pas un pouvoir permanent comme la sensibilité ou la mémoire. C’est une forme (la tendance au monoidéisme) qui s’impose à une matière (le cours ordinaire des états de conscience) ; son point de départ est dans le hasard des circonstances (attention spontanée) ou dans la position d’un but déterminé d’avance (attention volontaire). Dans les deux cas, il faut que des états affectifs, des tendances soient éveillées. Là est la direction primitive. Si elles manquent, tout avorte ; si elles sont vacillantes, l’attention est instable ; si elles ne durent pas, l’attention s’évanouit. Un état de conscience étant ainsi devenu prépondérant, le mécanisme de l’association entre en jeu suivant ses formes multiples. Le travail de direction consiste à choisir les états appropriés à la maintenir (par inhibition) dans la conscience en sorte qu’ils puissent proliférer à leur tour et ainsi de suite par une série de choix, d’arrêts et de renforcements. L’attention ne peut rien de plus ; elle ne crée rien et si le cerveau est infécond, si les associations sont pauvres, elle fonctionne vainement. Diriger volontairement son attention est un travail impossible pour beaucoup de gens, aléatoire pour tous.

  1. Physiologie de l’esprit, trad. Herzen, p. 302-306