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RIBOT.le mécanisme de l’attention

aveugle ou symbolique. Nous l’employons en algèbre, en arithmétique et, en fait, universellement. » L’apprentissage de la numération chez les enfants, mieux encore chez les sauvages, montre bien comment le mot d’abord accolé aux objets, puis aux images, s’en détache progressivement pour vivre d’une vie indépendante. Finalement, il ressemble à la monnaie fiduciaire (billets de banque, chèques, etc.), offrant la même utilité et les mêmes dangers. Ici, l’élément moteur ne peut se trouver que dans le mot. Les récentes recherches aux-quelles il a été fait allusion plus haut, ont montré que le mot n’existe pas sous la même forme chez tous les individus. Pour les uns, il consiste surtout en états articulatoires. Stricker, dans son livre sur la parole et la musique, en a décrit, d’après sa propre expérience, un type parfait : ce sont les moteurs par excellence. Pour d’autres, il consiste surtout en images auditives ; c’est une parole intérieure très bien décrite par V. Egger. D’autres beaucoup plus rares pensent à l’aide de mots lus ou écrits. Il en a été publié un cas curieux dans cette Revue (janvier 1885, p. 119). Ce sont les visuels. Chez la plupart des hommes, tous ces éléments agissent à doses inégales. Mais partout et toujours le mot idéal, non prononcé à haute voix, le signe purement intérieur, s’appuie sur quelque forme de perception primitive et par conséquent renferme des éléments moteurs.

Que les éléments moteurs inclus dans les idées générales de toute catégorie soient souvent très faibles, on n’en peut douter. Ceci s’accorde d’ailleurs avec ce fait d’expérience que la réflexion abstraite est impossible pour beaucoup de gens, difficile et fatigante pour presque tout le monde.

Nous avons insisté longuement sur cette partie de notre sujet, parce qu’elle est la moins explorée, la plus malaisée, la plus exposée aux critiques[1]. Mais plus d’un lecteur dira : Nous admettons qu’il y

  1. Nous avons dit que l’étude d’un grand nombre de cas normaux ou morbides a conduit à reconnaître plusieurs types : moteur, auditif, visuel, suivant le groupe d’images qui prédomine chez chaque individu, sans parler du type ordinaire ou indifférent. Celui qui pense les mots en les articulant sans les entendre (Stricker) et celui qui pense les mots en les entendant sans les articuler (V. Egger), celui qui pense les mots en les voyant écrits, sans les entendre ni les articuler, représentent des types irréductibles. Ceci coupe court à toute discussion. Chacun a raison en ce qui le concerne, lui et ses semblables ; il a tort, s’il généralise sans restriction. — Il serait désirable que le travail fait pour les images et les diverses formes du langage fût tenté pour les idées générales. Il est probable qu’on trouverait là aussi des types irréductibles. Ainsi Berkeley me paraît penser les idées générales sous la forme visuelle. Celui qui lira attentivement certains passages (trop longs pour être traduits ici) de la célèbre « Introduction au Traité de la nature humaine », qui les étudiera non comme une théorie des idées générales, mais comme un document, une confession psychologique, en conclura que l’idée générale était pour lui une vision. « L’idée d’homme que je puis me fabriquer,