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animal, couleur, etc.[1]. Sans insister, qu’avons-nous dans l’esprit, quand nous pensons ces idées générales ? D’abord un mot qui est l’élément fixe : avec lui, une image de moins en moins complexe, de moins en moins claire, à mesure qu’on monte dans la généralisation. Cette image est un extrait. Elle se forme par un procédé que l’esprit emploie même pour se représenter une image individuelle. Qu’on le remarque, en effet, ma représentation de Pierre, de Paul, de mon chien, de tout être ou objet concret parfaitement connu de moi, ne peut être qu’un extrait des perceptions multiples que j’en ai eues et qui me l’ont donné sous différents aspects. Dans la représentation d’une image individuelle, il y a une lutte entre les images antérieures de cet objet à qui prévaudra dans la conscience. Dans la conception d’une idée générale, il y a une lutte entre diverses images génériques à qui prévaudra dans la conscience. C’est un extrait de deuxième ou troisième ordre. Il se forme ainsi un noyau commun autour duquel oscillent des éléments vagues et obscurs. Ma conception générale d’homme ou de chien, si elle persiste tant soit peu dans la conscience, tend à prendre une forme concrète ; elle devient un blanc ou un nègre, un épagneul ou un bouledogue. — L’élément moteur est représenté surtout par le mot ; nous y reviendrons. Quant aux images ou extraits d’images, adjoints au mot, il serait bien difficile de dire ce qui reste en eux des mouvements inclus dans les perceptions originelles.

(c). Dans la catégorie précédente, à mesure que les idées deviennent plus générales, le rôle des images s’efface peu à peu, le mot devient de plus en plus prépondérant, jusqu’au moment où il demeure seul. Nous avons donc suivi cette marche progressive : images générique sans mot, images génériques avec mot, mot sans images. À ce dernier degré, nous trouvons les concepts purement scientifiques. Le mot existe-t-il seul dans l’esprit à cette période suprême de l’abstracţion ? J’adopte l’affirmative sans hésiter. Je ne puis entrer dans des détails qui me feraient sortir de mon sujet ; je me bornerai à faire remarquer que s’il n’y a rien actuellement sous les mots, il y a, il doit y avoir, un savoir potentiel, la possibilité d’une connaissance. « Dans la pensée actuelle, dit Leibniz, nous avons coutume d’omettre l’explication des signes au moyen de ce qu’ils signifient, sachant ou croyant que nous avons cette explication en notre pouvoir ; mais cette application ou explication des mots, nous ne la jugeons pas nécessaire actuellement… J’appelle cette manière de raisonner

  1. Bubbock, les Origines de la civilisation, chap. ix. — Taylor, la Civilisation primitive, t.  I, ch.  vii.