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RIBOT.le mécanisme de l’attention

titre d’orientation, de répartir les idées générales en trois grandes catégories :

Celles qui résultent de la fusion d’images semblables, sans l’aide du mot ;

Celles qui résultent de la fusion d’images dissemblables, avec l’aide du mot ;

Celles qui se réduisent au mot, accompagné d’un schéma vague ou même sans aucune représentation concomitante.

Je laisse de côté les concepts régulateurs (temps, espace, cause), dont l’étude nous entraînerait trop loin. Voyons si chacune de ces trois catégories renferme des éléments moteurs sur lesquels l’attention puisse agir.

(a). La première catégorie comprend les idées générales de l’espèce la plus grossière, celles qui se rencontrent chez les animaux supérieurs, les enfants et les sourds-muets avant l’emploi du langage analytique. L’opération de l’esprit se borne à saisir des ressemblances très saillantes et à former ainsi des images génériques, terme qui serait plus exact que celui d’idées générales. Elle paraît très analogue au procédé connu par lequel Galton en superposant plusieurs photographies obtient le portrait composite d’une famille, c’est-à-dire l’accumulation des ressemblances et l’élimination des petites différences : mais prétendre, comme on l’a fait, que ce procédé explique la formation des idées générales, est une thèse insoutenable ; il n’en explique que le plus bas degré, ne pouvant agir que sur de grosses ressemblances. — Ces images génériques renferment-elles un élément moteur ? Il est bien difficile de le dire et, en tout cas, inutile ; car ce n’est pas à ce stade de développement de la vie mentale que s’exerce la réflexion volontaire.

(b). La deuxième catégorie comprend la plupart des idées générales qui servent à l’usage courant de la pensée. Dans une étude complète du sujet, il y aurait lieu d’établir une hiérarchie ascendante de groupes, allant du moins général au plus général, c’est-à-dire marquant le pouvoir de saisir des ressemblances de plus en plus faibles, des analogies de moins en moins nombreuses. Tous les degrés de cette marche ascendante se rencontrent dans l’histoire de l’humanité : Les Fuégiens n’ont aucun terme abstrait. Les Indiens de l’Amérique ont des termes pour désigner le chêne rouge, le chêne blanc et le chêne noir ; ils n’en ont pas pour désigner le chêne en général. Les Tasmaniens ont un terme pour chaque espèce d’arbre, ils n’en ont pas pour arbre en général ; à plus forte raison, pour plante,