Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
497
RIBOT.le mécanisme de l’attention

Il n’importe pas de rechercher comment l’état d’attention volontaire est suscité dans la vie courante. Il naît, comme tout autre état de conscience, au gré des circonstances ; mais ce qui l’en distingue, c’est qu’il est maintenu. Si un écolier, ayant peu de goût pour les mathématiques, se rappelle qu’il a un problème à résoudre, c’est un état de conscience quelconque ; s’il se met à l’œuvre et persiste, c’est un état d’attention volontaire. Je le répète pour ne laisser aucune équivoque : c’est dans cette possibilité du maintien, de l’arrêt, qu’est tout le problème.

Comment pouvons-nous produire un arrêt, une inhibition ? Nous entrons ici dans une question bien peu connue en physiologie et presque inexplorée en psychologie. Que nous ayons le pouvoir, dans beaucoup de cas, d’arrêter les mouvements de diverses parties de notre corps, c’est ce que l’expérience prouve à chaque instant. Mais comment se produit l’équivalent de cette inhibition dans l’ordre mental ? Si le mécanisme physiologique de l’arrêt était mieux connu, nous pourrions probablement répondre moins obscurément. Nous prions donc le lecteur de considérer ce qui va suivre comme un essai plein de lacunes.

La propriété fondamentale du système nerveux consiste à transformer une excitation primitive en un mouvement. C’est l’acte réflexe, type de l’activité nerveuse. Mais on sait aussi que certaines excitations peuvent empêcher, ralentir ou supprimer un mouvement. Le cas le plus connu, le plus anciennement étudié, consiste dans la suspension des mouvements du cœur par l’irritation du pneumogastrique. Depuis, bien des faits analogues ont été constatés. Le cerveau semble exercer sur la moelle un pouvoir modérateur. Les physiologistes ont mis une grande ardeur à élucider ces cas singuliers où une excitation empêche un mouvement ; quelques-uns même ont supposé des nerfs d’arrêt et des centres d’arrêt. Il est inutile pour notre sujet d’exposer leurs recherches[1].

Notons pourtant que Ferrier, le premier, je crois, dans ses Fonctions du cerveau, a rapporté l’attention à une action des centres modérateurs, qu’il place dans les lobes frontaux. Le rappel d’une idée, dit-il, dépend de l’excitation de l’élément moteur qui entre dans sa composition ; l’attention dépend de la restriction du mouvement : il y a répression de la diffusion extérieure et augmentation de la diffusion intérieure. L’excitation des centres moteurs, protégée contre la diffusion externe, dépense sa force intérieurement ; il y a excitation

  1. Pour l’historique de cette question jusqu’en 1879, voir Hermann, Handbuch der Physiologie, vol.  II, part.  2, p. 33 et suiv.