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doivent renoncer au travail ; des hommes pour lesquels tel sujet d’investigation est si plein d’attrait qu’ils s’y adonnent des jours et des années, presque sans prendre le repos nécessaire à leur santé. »

Comme pour vivre, même en sauvage, il put faire quelquefois un travail ennuyeux, on sait que cette charge incombe aux femmes qui, pendant que l’homme dort, peinent par crainte des coups. Il est donc possible, quoique cela semble d’abord un paradoxe, que ce soit surtout par les femmes que l’attention volontaire ait fait son entrée dans le monde.

Il existe encore chez les peuples qui ont de longs siècles de culture, toute une catégorie d’êtres incapables de travail soutenu : les vagabonds, les voleurs de profession, les prostituées. Les criminalistes italiens de la nouvelle école y voient des cas d’atavisme. Mais la grande majorité des gens civilisés s’est adaptée d’une manière suffisante aux exigences de la vie sociale ; ils sont capables à quelque degré d’attention volontaire. Bien petit est le nombre de ceux dont parle Spencer, pour qui elle est un besoin ; bien rares sont ceux qui professent et pratiquent le stantem oportet mori. L’attention volontaire est un phénomène sociologique. Quand on la considère comme telle, on en comprend mieux la genèse et la débilité.

Nous croyons avoir établi qu’elle est acquise, qu’elle est une adaptation aux conditions d’une vie sociale supérieure, qu’elle est une discipline et une habitude, une imitation de l’attention naturelle, qui lui sert à la fois de point de départ et de point d’appui.

II

Jusqu’ici nous n’avons examiné dans le mécanisme de l’attention que cette pression extérieure des motifs et du milieu qui la fait passer d’une forme à une autre. Nous abordons maintenant une question bien plus obscure ; c’est l’étude du mécanisme intérieur par lequel un état de conscience est maintenu péniblement, malgré le struggle for life psychologique qui tend sans cesse à le faire disparaître. Ce monoidéisme relatif qui consiste dans la prépondérance d’un certain nombre d’états intérieurs adaptés à un même but, excluant tous les autres, n’a pas besoin d’être expliqué dans le cas de l’attention spontanée. Un état (ou un groupe d’états) prédomine dans la conscience parce qu’il est de beaucoup le plus fort ; et il est de beaucoup le plus fort parce que, comme nous l’avons vu, toutes les tendances de l’individu conspirent pour lui. Dans le cas de l’attention volontaire, surtout sous ses formes les plus artificielles, c’est le contraire. Quel est donc le mécanisme par lequel cet état se maintient ?