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profonde, et il est permis de l’y rattacher, pourvu qu’on l’en distingue avec soin[1].

C’est dans son Bau und Leben des socialen Körpers que M. Schaeffle a exposé les principes généraux de l’éthique[2]. L’auteur s’attache surtout à définir le droit et la morale et à montrer comment ils se distinguent et se complètent. À vrai dire, la définition qu’il en donne manque un peu de clarté et de précision. Suivant lui, une action n’est morale que si elle résulte d’une impulsion interne. C’est un mouvement spontané de la conscience, un libre élan de la volonté (Die Selbstbestimmung des Willens von innen heraus) auquel la moindre pression extérieure fait perdre aussitôt tout ce qui fait son prix. Le droit au contraire consiste dans un acte externe, déterminé par une volonté également externe. La moralité correspond chez les êtres vivants à l’énergie spontanée avec laquelle chaque cellule, chaque tissu, chaque organe s’acquitte de sa fonction et collabore à la santé collective de l’organisme. Le droit correspondrait plutôt aux actions et aux réactions des différentes unités organiques les unes sur les autres, aux mouvements qui les ajustent et en assurent l’harmonie. Mais n’est-ce pas restreindre singulièrement la morale que de la faire consister uniquement dans les libres dispositions de la volonté ? D’autre part il est bien contestable que les commandements de la morale soient exempts de toute contrainte ; elle y est seulement moins ouverte et moins violente.

Mais il ne faut pas attacher trop d’importance à ces définitions ; elles ne pouvaient guère être que générales et approchées, puisque l’auteur ne se proposait pas de faire une éthique. Ce qui importe davantage, c’est que M. Schaeffle reconnaît nettement le caractère empirique et organique de la morale et du droit. La morale n’est pas un système de règles abstraites que l’homme trouve écrites dans sa conscience ou que le moraliste déduit du fond de son cabinet. C’est une fonction sociale ou plutôt un système de fonctions qui s’est formé et consolidé peu à peu sous la pression des besoins collectifs. L’amour, en général, le penchant abstrait au désintéressement n’existent pas. Ce qui existe réellement, c’est l’amour dans le mariage et dans la famille, le libre dévouement de l’amitié, l’esprit municipal, le patriotisme, l’amour de l’humanité ; et tous ces sentiments sont les

  1. D’ailleurs M. Schaeffle admet comme les socialistes de la chaire le caractère éthique de l’économie politique. Voy. dans ses Gesammelte Aufsaetze les deux études intitulées : Mensch und Gut in der Voltkswirtschaft (l’homme et le bien dans l’économie sociale) et Die Ethische Seite de national-ekonomischen Lehre vom Werthe (le côté moral de la théorie économique de la valeur).
  2. I, 550-674, II, 59-81. Sur les formes particulières du droit, passim.