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états affectifs, des tendances attractives ou répulsives. Sous la forme spontanée, il n’y a pas d’autres causes. Sous la forme volontaire, dé même ; mais les sentiments sont de nature plus complexe, de formation tardive, dérivés par l’expérience des tendances primitives. Pendant que l’attention volontaire en est encore à sa période de genèse, avant qu’elle soit organisée, fixée par l’habitude, ôtez à l’écolier l’amour-propre, l’émulation, la crainte d’être puni, enrichissez le commerçant et l’ouvrier, donnez à l’employé une retraite dès les premiers jours de sa carrière, et toute leur attention pour un travail répugnant s’évanouit, parce qu’il n’y a plus rien qui la produíse et la soutienne. Je conviens que cette genèse de l’attention est fort compliquée, mais elle est conforme aux faits. À en croire la plupart des psychologues, il semble que l’attention volontaire — la seule qui compte pour eux, quoiqu’elle ne soit qu’une forme dérivée et acquise — s’installe d’emblée. « Elle est soumise à l’autorité supérieure du moi. Je la donne ou la retire comme il me plaît, je la dirige tour à tour vers plusieurs points, je la concentre sur chaque point aussi longtemps que ma volonté peut soutenir son effort[1]. » Si ce n’est pas là une description de convention et de fantaisie, si l’auteur la tire de sa propre expérience, je ne puis que l’admirer. Mais, en vérité, il faut être dénué de tout esprit d’observation ou aveuglé par les préjugés, pour ne pas voir que l’attention volontaire, sous sa forme stable, est un état difficile à conserver et que beaucoup n’y parviennent pas.

Toutefois si, comme nous nous sommes efforcé de le démontrer, la forme supérieure de l’attention est l’œuvre de l’éducation que nous avons reçue de nos parents, de nos maîtres, de notre milieu et de celle que nous nous sommes donnée plus tard à nous-mêmes, en imitant celle que nous avons d’abord subie, cette explication ne fait que reculer la difficulté ; car nos éducateurs n’ont fait qu’agir sur nous, comme on avait agi sur eux, et ainsi de suite en remontant le cours des générations : ceci n’explique donc pas la genèse primordiale de l’attention volontaire.

Comment donc est-elle née ? Elle est née de la nécessité, sous la pression du besoin et avec le progrès de l’intelligence. Elle est un appareil de perfectionnement et un produit de la civilisation. Le même progrès qui, dans l’ordre moral, a fait passer l’individu du règne des instincts à celui de l’intérêt ou du devoir ; dans l’ordre social, de la sauvagerie primitive à l’état d’organisation ; dans l’ordre politique, de l’individualisme presque absolu à la constitution d’un gouvernement ; le même progrès, dans l’ordre intellectuel, a fait

  1. Dict. des sciences. phil., 2e édit., art.  Attention.