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RIBOT.le mécanisme de l’attention

égoïstes, de l’attrait des récompenses, des émotions tendres et sympathiques, de cette curiosité innée qui est comme l’appétit de l’intelligence et qui se rencontre chez tous à quelque degré, si faible qu’il soit.

Dans la deuxième période, l’attention artificielle est suscitée et maintenue par des sentiments de formation secondaire l’amour-propre, l’émulation, l’ambition, l’intérêt au sens pratique, le devoir, etc.

La troisième période est celle d’organisation : l’attention est suscitée et maintenue par l’habitude. L’écolier dans sa salle d’étude, l’ouvrier dans son usine, l’employé dans son bureau, le marchand derrière son comptoir souhaiteraient le plus souvent d’être ailleurs ; mais l’amour-propre, l’ambition, l’intérêt ont créé par répétition un entraînement durable. L’attention acquise est devenue une seconde nature ; l’œuvre de l’art est consommée. Le seul fait d’être placé dans une certaine attitude, un certain milieu, entraîne le reste ; l’attention se produit et se maintient moins par des causes actuelles que par des causes antérieures accumulées ; les mobiles habituels ont pris la force des mobiles naturels. Les réfractaires à l’éducation et à la discipline n’atteignent jamais cette troisième période ; chez eux l’attention volontaire se produit rarement, par intermittences, et ne peut devenir une habitude.

Il n’est pas nécessaire de montrer longuement que chez les animaux le passage de l’attention spontanée à l’attention volontaire se produit de même sous l’influence de l’éducation, du dressage ; mais l’éducateur ne dispose que de moyens d’action restreints et de nature simple. Il agit par la peur, la privation d’aliments, la violence, la douceur, les caresses et parvient ainsi à faire contracter des habitudes, à rendre par artifice l’animal attentif. Il y a, comme chez l’homme, des éducables et des réfractaires. « Un éleveur de singes, dit Darwin, qui achetait à la Société zoologique des espèces communes au prix de cinq livres la pièce, en offrait le double, à la condition de pouvoir les garder quelques jours pour faire un choix. Quand on lui demanda comment en si peu de temps il pouvait voir si tel singe serait un bon acteur, il répondit que tout dépendait de leur pouvoir d’attention. Si, pendant que l’on parlait ou expliquait quelque chose à un singe, son attention était aisément distraite, par une mouche sur le mur ou quelque autre bagatelle, le cas était désespéré. Essayait-on par des punitions de faire agir un singe inattentif, l’animal devenait rétif. Au contraire, un singe attentif pouvait toujours être dressé[1]. »

En résumé, nous n’avons trouvé à la racine de l’attention que des

  1. Darwin, la Descendance de l’homme, vol.  1.