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RIBOT.le mécanisme de l’attention

ne l’est pas par nature, donner un intérêt artificiel aux choses qui n’ont pas un intérêt naturel. J’emploie le mot « intérêt » au sens vulgaire, comme équivalent à cette périphrase : ce qui tient l’esprit en éveil. Mais l’esprit n’est tenu en éveil que par une action agréable, désagréable ou mixte des objets sur lui, c’est-à-dire par des états affectifs. Seulement ici les sentiments qui soutiennent l’attention sont acquis, surajoutés, non spontanés, comme dans ses manifestations primitives. Tout se réduit donc à trouver des mobiles efficaces ; s’ils font défaut, l’attention volontaire ne se constitue pas.

Tel est le procédé pris en général ; dans la pratique, il se diversifie à l’infini.

Pour bien comprendre la genèse de l’attention volontaire, le mieux est d’étudier les enfants et les animaux supérieurs. Les exemples les plus simples seront les meilleurs.

Durant la première période de sa vie, l’enfant n’est capable que d’attention spontanée. Il ne fixe sa vue que sur des objets brillants, sur la figure de sa mère ou de sa nourrice. Vers la fin du troisième mois, il explore le champ de vision, en arrêtant graduellement ses yeux sur des objets de moins en moins intéressants (Preyer). Il en est de même pour les autres sens ; le passage se fait peu à peu de ce qui le touche le plus à ce qui le touche le moins. La fixation du regard qui plus tard devient attention intense se traduit extérieurement par la contraction plus accentuée de plusieurs muscles. L’attention est accompagnée d’un certain état affectif que Preyer appelle « l’émotion d’étonnement ». À son plus haut degré, cet état produit l’immobilité temporaire des muscles. Suivant le Dr Sikorski, « l’étonnement ou plutôt l’émotion, qui accompagne le processus psychique de l’attention, est surtout caractérisée par la suspension momentanée de la respiration, phénomène qui saute aux yeux lorsqu’on est habitué à la respiration accélérée des enfants[1]. » Il est presque impossible de dire à quelle époque a lieu la première apparition de la volonté. Preyer croit l’avoir notée vers le cinquième mois, mais sous sa forme impulsive ; comme pouvoir d’arrêt, elle se manifeste bien plus tard.

Tant que la vie psychique en reste ainsi à la période d’essai, l’attention, c’est-à-dire le transfert de l’esprit d’un objet à un autre n’est déterminé que par leur puissance d’attraction. La naissance de l’attention volontaire, qui est la possibilité de retenir l’esprit sur des objets non attrayants, ne peut se produire que par force, sous l’influence de l’éducation, qu’elle vienne des hommes ou des choses.

  1. Sikorski, le Développement psychique de l’enfant (Rev. phil., avril 1885).