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DURKHEIM.la morale en allemagne

mettaient l’économie politique en dehors de la morale, c’est que ces deux sciences leur semblaient étudier deux mondes, sans rapports entre eux. Mais s’il n’y a entre eux d’autre différence que celle du contenant au contenu, alors il est impossible de les abstraire l’un de l’autre. On ne comprend rien aux maximes de la morale qui regardent la propriété, les contrats, le travail, etc., si on ne connaît pas les causes économiques dont elles dérivent ; et, d’autre part, on se ferait une très fausse idée du développement économique, si on négligeait les causes morales qui y interviennent. Car la morale n’est pas absorbée par l’économie politique ; mais toutes les fonctions sociales contribuent à produire cette forme à laquelle les phénomènes économiques sont tenus de s’assujettir tout en contribuant à la faire. Par exemple, à mesure que la société a besoin d’une production plus abondante, il devient nécessaire de stimuler davantage l’intérêt personnel et par conséquent le droit et la morale reconnaissent à chacun une plus grande part de liberté personnelle. Mais, en même temps et sous l’influence de causes qui n’ont avec les nécessités économiques que des relations lointaines, le sentiment de la dignité humaine se développe et s’oppose à l’exploitation abusive ou prématurée des enfants et des femmes. Ces mesures protectrices, dictées par la morale, réagissent à leur tour sur les relations économiques et les transforment en excitant l’industriel à remplacer le travail de l’homme par celui des machines. « L’économie politique et la philosophie du droit, dit M. Wagner, doivent se considérer l’une l’autre comme deux sciences complémentaires. Nous avons surtout besoin de la philosophie du droit dans les questions sur la nécessité fondamentale de l’État pour la vie sociale, sur sa compétence…, sur la manière dont sont organisés par l’État les droits de propriété, de contrat, de succession, sur la réalisation du principe de la justice distributive dans la répartition des produits sociaux et des charges communes. Mais, de même que l’économie politique a besoin d’être en contact avec la philosophie du droit, inversement la philosophie du droit a, dans la même mesure et dans son propre intérêt, besoin de se sentir en contact avec le droit positif et l’économie sociale (page 290). » Seulement, comme jusqu’ici cette méthode n’a guère été pratiquée par les philosophes, l’économiste est obligé de se faire à lui-même sa philosophie du droit, et c’est en effet ce qu’a entrepris M. Wagner dans la seconde et la plus importante partie de son livre (Recht und Verkehrsrecht). Appliquant cette méthode au droit personnel, il fait voir que, quoi qu’on en ait dit, la liberté individuelle n’a pas par elle-même une valeur absolue, mais qu’elle a au contraire de graves inconvénients qu’il faut prévenir en