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ANALYSES.w. knight. Hume.

pas que D. Hume ait jamais eu la moindre hésitation à approuver l’empirisme. Il en accepte sans scrupule les prétendus axiomes, et il n’a pas soupçonné un instant qu’il pût y avoir une pétition de principe à affirmer que les idées sont des images affaiblies des impressions. Mais, avec une rigueur à peu près irréprochable, il a fait sortir de cette définition toutes ses conséquences, et il a été ainsi conduit à prouver aussi bien et mieux que n’aurait su le faire un adversaire de l’empirisme, l’impossibilité, pour tous ceux qui adoptent cette doctrine, d’expliquer la connaissance.

Peu importent ensuite ses hypothèses pour rendre compte des idées courantes : D. Hume est tout entier dans la négation sincère et résolue de la possibilité de toute connaissance scientifique. Son œuvre est là, complète, achevée du premier coup. Ses soi-disant successeurs, en Angleterre et chez nous, ne l’ont pas comprise. Ils n’ont pas vu qu’il n’y avait plus rien à faire, après lui, pour les partisans de la philosophie empirique, qu’elle avait été par lui réfutée et condamnée comme la plus impuissante de toutes les doctrines, et qu’au « Traité de la Nature humaine » répondait seule, parce qu’elle en est la suite naturelle, la « Critique de la raison pure ». La philosophie, en effet, ne subsiste qu’autant qu’elle établit la possibilité des sciences, c’est là son principe critérium, et elle se distingue elle-même des sciences, puisqu’elle les justifie.

Le rôle de D. Hume est donc des plus considérable, dans l’histoire, et l’on ne saurait trop étudier ses écrits philosophiques. M. Knight les résume et les discute avec beaucoup de netteté et de décision. Il en montre bien l’esprit, et il nous fait bien connaître en même temps le caractère si original de ce philosophe, qui s’inquiétait peu des critiques, tout en les désirant avec passion, qui, vivant, parlant et agissant, ce sont ses propres expressions, comme tout le monde, poursuivait, dans l’isolement de sa pensée, son œuvre de ruine, et qui a goûté, plus que personne peut-être, la pure joie d’aller jusqu’au bout de ses idées. Mais alors se présente une question, et elle ne se rapporte pas seulement à D. Hume : Comment se fait-il qu’un esprit si pénétrant, et si dégagé d’ailleurs de tout préjugé, ait adopté comme des vérités indiscutables les principes de la philosophie empirique ? La force de l’éducation et des impressions premières est-elle si grande, ou faut-il croire que nous naissons avec des prédispositions invincibles à préférer telle ou telle manière de voir ? N’avons-nous pas tous les yeux faits de la même façon ? Y a-t-il un daltonisme intellectuel ? Ce serait assez de ce doute pour nous rendre modérés et indulgents dans nos discussions ; mais ces discussions elles-mêmes, à quoi serviraient-elles ?

A. Penjon.