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parler ; le second répond longuement à une réplique assez dédaigneuse de Du Bois-Reymond. Mais l’auteur n’a pas jugé que la question fût épuisée ; il a cru utile d’écrire encore 175 pages, sans compter de longues notes, pour éclaircir quel concept de la matière se forme Du Bois-Reymond, comment il se représente l’origine des atomes, et pour critiquer les opinions de celui qu’il prend ainsi à partie, tout en développant en regard les siennes propres.

Dans une note finale (p. 261), M. Weber s’élève assez vivement contre l’appréciation qui avait été formulée ici même sur son compte, et où l’on disait « qu’il semblait vouloir maintenir un supernaturalisme qui le rapprocherait assez du kantisme ». Supernaturaliste, certainement ; mais kantiste, non pas. Il y a eu depuis le philosophe de Königsberg un homme qui a fait en avant de nouveaux pas décisifs, « dont les travaux dans la théorie de la connaissance font époque, et annoncent à la science du peuple allemand le commencement d’un jour nouveau et magnifique, d’un jour qui ne finira pas avant que le mystère des mystères, l’homme, ait été révélé à l’intelligence, et que, sur le fondement de cette connaissance de soi-même, ait été établie une connaissance du monde et de Dieu aussi complète que véritable » (p. 152). Cet homme s’est appelé Anton Günther, de Vienne[1]. Voilà le véritable chef d’école dont se réclame hautement Th. Weber.

Pour le qualifier d’une façon plus intelligible aux lecteurs français, c’est un dualiste ; et il est dès lors à peine besoin d’ajouter que dans l’avenir qu’il rêve il entrevoit clairement la philosophie régénérée, adoptant ce qu’il appelle les vérités du christianisme primitif. Mais je ne puis démêler si les fruits que produira cette féconde union ne sont pas exclusivement réservés « au peuple allemand », s’il convient donc vraiment d’en parler de ce côté des Vosges. Aussi bien je craindrais d’être insuffisamment préparé pour cette tâche, car je dois avouer que la lecture de l’ouvrage de Th. Weber ne m’a pas appris sur la question autant que j’aurais désiré, et que, d’un autre côté, il ne m’a nullement décidé à pousser plus loin mon enquête.

Je ne l’en recommande que plus vivement à tous ceux qui tiennent à cœur de se mettre au courant du mouvement de la philosophie allemande, et que ne rebutera pas d’avance le titre d’un ouvrage de polémique. Plus heureux que moi, ils pourraient y faire quelque découverte inattendue.

Ce qui ne les surprendra pas au contraire, c’est de voir qualifier Du Bois-Reymond de matérialiste. Certes, c’est un matérialisme particulier, bien différent de celui de Hæckel, par exemple, qui a assimilé, comme on sait, l’Ignorabimus de l’académicien berlinois à l’Ignoratis de l’infaillible Vatican et de l’Internationale noire. Mais ce n’en est pas moins un matérialisme bien caractérisé ; car un dualiste convaincu ne

  1. Notre orateur n’en cite guère qu’un ouvrage, qui porte le titre bizarre d’Eurystheus und Herakles, Vienne, 1843.