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peut provoquer, non produire, tandis qu’elle est le produit nécessaire et le produit unique du nerf optique mis en action. Il serait pourtant aisé de montrer, comme on l’a si bien fait, qu’il existe un lien, et un lien presque rigoureux, entre les variations de l’excitation éthérée et celles de la sensation lumineuse, lien tout autrement certain que le parallélisme cherché, rarement trouvé, par les statisticiens, entre les variations thermométriques des saisons ou des climats et celles de la criminalité, du suicide ou de la folie. Mais cette correspondance prouverait-elle un rapport de causalité entre les vibrations de l’éther et la sensation de la lumière ? Non, elle démontrerait seulement l’adaptation remarquable du nerf optique épanoui en rétine à ses fins propres, comme la liaison constatée entre le poids des balles de coton entrées dans une usine et la longueur des toiles de coton qui en sortent démontre la perfection de la machine à tisser.

Les passions sociales (point d’honneur, jalousie conjugale, etc.) et les habitudes sociales (vie d’atelier, de bureau, de café, etc.) sont autant de machines fabriquées par la société avec des matériaux fournis par la nature de l’homme ; et ces machines reçoivent toujours leur aliment du dehors, soit de la chaleur plus ou moins élevée, soit d’une boisson plus ou moins enivrante, soit d’une nourriture plus ou moins abondante. Elles font avec cela ce qu’elles savent faire, du bien ou du mal, suivant les cas, comme, avec les mêmes vibrations de l’air, une oreille fait des sons justes ou des sons faux suivant sa conformation, mais ce n’est ni le mérite ni la faute de la chaleur, de la nourriture ou de la boisson. Tout l’honneur ou toute la honte en revient à l’ordre social qui a employé de la sorte les agents naturels. Quand je vois tomber dans les rangs d’une armée, par un jour de revue, des soldats frappés d’insolation, je n’accuse pas le soleil, j’accuse le militarisme, qui convertit en danger de mort le bienfait des rayons vivifiants.

Aussi, je ne comprends pas pourquoi M. Colajanni se croit obligé, par sa thèse de la prédominance des causes sociales, à nier ou à réduire à presque rien la correspondance statistique entre la température et la criminalité[1]. Et il est de fait qu’après ses recherches il ne reste pas grand chose de net et de clair à ce sujet, sauf le calendrier de la criminalité dressé par M. Lacassagne. Mais je comprends encore moins pourquoi il se croit intéressé par sa thèse proprement socialiste à contester la corrélation dont il s’agit. Vraiment, s’il était démontré que les années de belles récoltes, de belles vendanges, de beau temps, sont des années de meurtres et d’attentats aux mœurs, autrement dit que la surexcitation de l’activité nationale dans les voies traditionnelles où l’engagent ses aiguilleurs, aboutit non à une recrudescence de bienfaisance et de bonheur, mais à une multiplication des accidents et des catastrophes, quelle belle occasion ce serait là de maudire la société

  1. Voir à ce sujet son intéressant et substantiel travail publié dans les Archives d’anthropologie criminelle (livraison de nov.-déc. 1886), et auquel M. Ferri a brillamment répondu (dans la livraison suivante).