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ANALYSES.j. rossello. Obras de Ramon Lull.

cani aquest paragrafi en la translacio que della farem en arabich no proposam metre (fo 2 vo du mss. 234 du fonds esp. de la Bibl. nat.).

Il ne se peut rien de plus explicite. Ce trait de diplomatie nous montre R. Lull sous un jour nouveau, se faisant tout à tous, suivant le précepte et l’exemple de l’apôtre ; car son but était de convertir à la foi chrétienne Sarrasins, schismatiques, juifs et païens, et son désir le plus vif, de fournir aux chrétiens des armes pour battre leurs adversaires sur le terrain de la controverse. De là le souhait de voir ses livres traduits dans la langue des mécréants, et l’invitation aux docteurs d’abandonner le latin, qui ne pouvait suffire à tout, pour les idiomes vulgaires ; car enfin à quoi bon le latin hors de l’école ? Ce n’est point en latin qu’il est possible d’édifier les gens qui ne l’entendent point, outre que le vocabulaire latin ne peut fournir tous les termes nécessaires à l’exposition du dogme et à la controverse. Le passage vaut la peine d’être intégralement reproduit : La entencio perque nos esta amancia posam en vulgar es perço que los homens qui no saben lati pusquan auer art e doctrina com sapian ligar lur volentat a amar ab bona amor, e encara com sapien auer sciencia a conexer veritat ; e encara perço la posam en vulgar quels homens qui saben lati aien doctrina e manera com de les peraules latines sapien deuallar a parlar bellament en vulgar vsan dels vocables desta art, car molts homens son qui de la sciencia en lati no saben 'transportar' en vulgar per defalliment de vocables los quals per esta art auer poran (id., fo 2 ro).

Ce langage net et précis est d’un réformateur qui s’adresse à tout le monde.

Quant au péché d’omission contre la foi orthodoxe, qui consiste à supprimer les grosses difficultés du dogme, de peur d’effrayer les infidèles, il n’en faudrait pas conclure à une ressemblance quelconque avec le fondateur de la Société de Jésus. Le docteur illuminé n’avait rien absolument de la nature du renard ; mais il connaissait les hommes, et ses ouvrages abondent en fines remarques sur les passions et les travers de l’espèce humaine. Peut-être ne possédait-il pas toute la prudence du serpent, mais qui pourrait lui refuser l’innocence de la colombe ?

Ce qui recommande son mysticisme, c’est la morale qu’on y trouve, déduite non pas du dogme, mais de cette connaissance de l’homme que ne donne point la métaphysique du sanctuaire ou de l’école. En somme, toute philosophie ne vaut que par la morale, et la morale lullienne paraît irréprochable. Cela étant, il est permis d’admirer R. Lull par ses beaux côtés, car il a réellement de belles parties, et il est utile de le faire connaître, en le montrant tel qu’il était, et non pas travesti par la légende, défiguré par le fanatisme des sectaires, dénaturé par une critique injuste.

Telle est l’ambition légitime et louable du poète érudit M. Geroni Rosselló, qui vient de commencer, peut-être un peu tard, l’exécution d’un projet de jeunesse, en donnant à Palma, sous les auspices d’un