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lement quelques idées originales, nettes et justes, comme celles qui recommandent la mince et substantielle brochure d’Helfferich, sur R. Lull et les commencements de la littérature catalane (Raymund Lull und die Anfänge der catalanischen Literatur, Berlin, 1857, in-8o). Jamais l’érudition n’est aussi précieuse que lorsqu’elle sert la pensée comme un instrument de précision. Ces recherches rétrospectives ne signifient rien, si l’on ne peut les comparer à des projections de lumière électrique, éclairant à plein le passé, montrant les choses et les hommes d’autrefois dans leur milieu vivant.

M. G. Rosselló ne peut que se féliciter de sa réserve, puisqu’il aura toutes facilités pour ressusciter le vrai R. Lull en chair et en os, après avoir exhumé tous ses écrits authentiques, et appris à le connaître à force de les lire dans le texte original. L’érudition et la critique attendent beaucoup de lui, et leur attente ne sera pas vaine, s’il se conforme aux promesses de son programme.

S’il se rencontrait en Espagne un homme de bonne volonté et de suffisante compétence pour entreprendre un travail analogue sur le médecin catalan Arnaud de Villeneuve, lequel occupe aussi une place considérable dans l’Histoire littéraire de la France (tome XXVIII), l’Espagne n’en serait plus à considérer cette grande figure d’après la notice insuffisante de Hernandez Morejon, l’historien de la médecine espagnole, ou d’après le portrait peu ressemblant qu’en a tracé la plume infidèle du fanatique auteur de l’histoire indigeste des hétérodoxes espagnols, ennemi déclaré de l’hérésie et de la libre pensée. Ce n’est point aux exorcistes, armés du goupillon, qu’il appartient d’évoquer les morts illustres. Le professeur de chimie de la Faculté des Sciences de Barcelone, M. de Luanco, est peut-être de tous les savants contemporains le plus propre et le mieux préparé à faire revivre, à réhabliter celui qui passe encore de nos jours pour avoir enseigné l’art hermétique et le secret de la pierre philosophale à Ramon Lull. Ce point obscur de la vie des deux auteurs catalans devrait être élucidé par le critique sévère qui a mis à néant l’absurde légende qui faisait de Ramon Lull un alchimiste, mandé en Angleterre pour fabriquer, secundum artem, quelques millions de nobles à la rose. M. de Luanco, avec sa dialectique serrée et des documents indiscutables, a fait justice de cette fable ridicule, en prouvant, comme on dit, par , que non seulement R. Lull ne fut jamais en Angleterre, mais que le roi de ce pays qui l’avait appelé pour remplir sa caisse vide n’a jamais existé ; que le prétendu testament du prétendu alchimiste, œuvre manifeste d’un faussaire, est postérieur de dix-sept ans à sa mort, et finalement, que le docteur illuminé, ainsi qu’il appert de ses œuvres authentiques, professa toujours le plus profond dédain, le plus profond mépris pour l’alchimie et l’astrologie et pour les adeptes de ces fausses sciences.

Cette démolition magistrale de la légende lullienne est un service essentiel rendu à la vérité et à l’histoire de la philosophie. Puisse celui