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ANALYSES.j. rossello. Obras de Ramon Lull.

lui, un savant universel sans titres ni grades. Malheureusement Littré fut obligé de suspendre son travail de plusieurs années, après l’analyse des œuvres lulliennes faite d’après l’édition latine de Mayence, par Ivo Salzinger, édition qui est incomplète, indépendamment des deux volumes qui manquent à la série, et dont aucun bibliographe sérieux n’a pu prouver l’existence. Ce n’est pas en puisant à cette source que l’on peut se faire une exacte idée de l’auteur d’après ses écrits authentiques et originaux. Ses œuvres latines ne sont pour la plupart que des traductions, ou trop littérales, ou trop libres, qui supposent plus de zèle que de discernement. Littré s’en doutait un peu ; car à quelqu’un qui lui mit sous les yeux, en 1861, le passage de la préface des noms de Dieu (Obras rimadas de Ramon Lull, Palma, 1859, in-8o, p. 201), où Ramon Lull déclare en très bon catalan qu’il ne savait pas le latin, per ço car ignor grammatica, il répondit simplement, avec sa sincérité habituelle : « Tout mon travail est à refaire. »

Il est fâcheux que le continuateur de Littré n’ait pas travaillé dans cet esprit. Il fallait remonter aux sources, lire et extraire les manuscrits catalans de R. Lull conservés à Munich, à Barcelone, à Palma. M. Geronimo Rosselló, qui vient de commencer, à Majorque, l’édition des œuvres catalanes de Lull, ne comprit pas sans doute l’importance du service qu’il aurait pu rendre aux auteurs de l’Histoire littéraire, en se montrant plus accessible aux ouvertures que lui fit Littré pour en obtenir des notices et informations qu’il pouvait fournir mieux que personne. Mais le diligent éditeur de Palma ne voulut pas déflorer son sujet, et le consciencieux Littré en fut pour ses avances.

La Bibliothèque nationale de Paris possède des manuscrits de la plupart des œuvres de Lull, mais ils appartiennent tous au fonds latin, sauf un très remarquable, qui renferme l’Art amativa (fonds espagnol, n° 234, petit in-4o, 120 feuillets, écriture serrée, 33 à 37 lignes à la page, avec un extrait de la préface, prolecch, à la page 1), et qui est peut-être contemporain de l’auteur (mort en 1315, né en 1235).

Hormis les poésies ou rimes, publiées à peu près complètes par M. G Rosselló, et dont ils font peut-être plus de cas qu’il ne faudrait, les auteurs de l’Histoire littéraire n’ont pas eu connaissance, semble-t-il, des ouvrages écrits en catalan ; de sorte qu’ils n’ont pu qu’entrevoir l’ombre de Lull, qu’ils ont dû s’abstenir de juger comme écrivain, sans pouvoir se retrancher absolument derrière l’ignorance ou la connaissance imparfaite de la langue, comme le fin bonhomme Plutarque qui prétendait savoir trop peu de latin pour se prononcer sur l’éloquence de Cicéron, qu’il évite ainsi de comparer à Démosthène comme orateur. Dans maint passage de la longue notice biographique et bibliographique, où l’on voudrait plus d’unité, on sent la main peu légère de ces ambitieux romanistes qui se taillent des provinces dans la littérature espagnole, qu’ils administrent à titre d’hispanistes et de catalanistes.

Il n’y aurait qu’à louer ce concours de lumières, si de cette énorme monographie d’environ 400 pages in-4o il était possible d’extraire seu-