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bien encore comme un organe qui faisait partie d’un ancien type de structure dans un organisme d’un type nouveau.

Poussée à ses dernières conséquences, la doctrine empirique transforme la notion de nécessité, comme elle a transformé les autres notions métaphysiques ; elle distingue de l’hypothèse d’un nexus causal qui s’est greffée sur lui, le fait de la séquence invariable et inconditionnelle, et, rejetant l’hypothèse, elle conserve le fait. En agissant ainsi, elle reste fidèle à son principe, à sa méthode ; elle ne nous conduit pas, comme le dit M. Taine, sur le bord d’un abîme de hasard et d’ignorance ; mais, dégageant la science de tout reste d’habitude et d’ambition métaphysique, elle la réduit à n’être plus que la recherche de rapports constants de coexistence et de succession, en lui laissant le droit d’affirmer, avec une absolue certitude, l’existence de tels rapports.

En résumé, si profonde qu’ait été l’influence des doctrines anglaises sur l’esprit de M. Taine, elle n’y a pas effacé les traces d’une influence toute différente ; si vif, si sincère que soit son goût pour les faits, pour les réalités positives, il n’a pas éteint en lui la passion spéculative, l’amour des belles constructions métaphysiques. De la combinaison de ces deux influences, de l’accord de ces deux instincts, est sortie la doctrine que nous avons exposée, résumé abstrait dont l’œuvre de M. Taine est le commentaire brillant et animé. Elle reste un témoignage curieux de la persistance, dans les esprits les plus foncièrement modernes, d’instincts qui ont leurs assises dans le passé : on pourrait la définir un spinozisme rajeuni et transfiguré par le contact de la science moderne.

Quelle que soit d’ailleurs la définition qu’on adopte, elle aura pour résultat, si elle est exacte, de mettre mieux en lumière l’originalité de l’entreprise et la rare vigueur du puissant esprit qui l’a tentée.

V. Hommay.