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HOMMAY.l’idée de nécessité

physique qui, en apparence éteint, en réalité toujours vivace sous les débris de ses créations multiples, atteste, par la variété des formes qu’il sait prendre, sa persistance opiniâtre et son énergique vitalité.

La science ayant brisé successivement toutes les formules où nous enfermions l’absolu, pour y croire encore, il ne reste plus d’autre ressource que de lui appliquer cette forme à elle-même, et cette idée nous séduit d’autant plus, que, de toutes les choses auxquelles nous croyons, elle est la seule qui ait prouvé, avec une force invincible, qu’elle n’est pas illusion et vanité.

Les rapports de la métaphysique et de la science ne sont pas en effet, d’après M. Taine, ce qu’ils sont pour les purs positivistes. Pour lui, la science ne détruit pas à proprement parler la métaphysique ; elle l’absorbe en elle ; elle ne supprime pas l’idée et elle ne condamne pas la recherche de la cause première, mais elle transforme cette idée et elle revendique cette recherche comme un de ses droits. Elle ne se contente pas de démontrer l’inanité des formules par lesquelles nous prétendions exprimer l’absolu ; elle y substitue les siennes propres ; elle remplace les anciens symboles par des symboles nouveaux. Pour M. Taine, la cause première n’est ni un être concret, ni une entité métaphysique, mais une loi : le principe qui relie entre elles les parties de l’univers n’est pas une vérité d’un ordre supérieur, mais une loi qui ne diffère des autres que par l’immense étendue de son domaine, l’infinie richesse de ses conséquences. La loi scientifique se trouve ainsi érigée en puissance métaphysique, raison et source de toutes choses ; elle devient la véritable cause première, le mot de l’énigme de l’Univers.

Pour conserver le droit de parler encore de cause première, pour faire sortir de la science une métaphysique nouvelle, pour concilier avec cette négation de toute réalité transcendante, qui semble un des résultats de la critique moderne, cette idée d’une explication dernière des choses, magnifique rêve des penseurs d’autrefois, il faut admettre qu’entre ces faits, devenus l’unique réalité, il y a du moins une connexion, une hiérarchie ; il faut sauver du naufrage des conceptions métaphysiques le dogme de la nécessité.

De là chez les philosophes qui, en devenant empiriques, sont demeurés inconsciemment épris de l’absolu, une lutte entre l’instinct positif et l’instinct métaphysique, un double effort pour renfermer dans les limites du fini leur penchant spéculatif et pour y trouver l’aliment dont il a besoin. L’idée de nécessité subsiste ainsi, isolée de ses attaches naturelles, au milieu de conceptions d’un caractère purement positif et d’origine purement empirique, comme un pilier d’une antique cathédrale dans une église d’architecture moderne, ou