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elle est en rapport[1]. Dans les sciences physiques, comme dans les sciences mathématiques, la méthode d’explication est la même, parce que, dans l’ordre du réel, comme dans l’ordre des possibles, les propriétés d’une chose lui sont toujours reliées par l’intermédiaire d’une propriété qui fait partie de son essence[2].

La nature tout entière n’est donc qu’une logique en acte, une sorte de géométrie vivante : les faits révèlent les lois et les lois impliquent les faits ; ce qui sera existe déjà virtuellement dans ce qui est, les lois les plus générales de la nature sont conçues sur le modèle des axiomes mathématiques conçus eux-mêmes comme des aspects divers du principe d’identité[3].

Si l’on veut porter un jugement d’ensemble sur cette conception de la science, remarquable par son ampleur et séduisante par son aspect symétrique, on peut dire qu’elle est l’œuvre d’un métaphysicien, mais d’un métaphysicien imprégné de la science moderne.

Le trait caractéristique du métaphysicien, c’est la recherche d’une explication complète, absolument adéquate aux exigences de l’esprit : or, la condition nécessaire d’une telle explication, c’est la réduction de tous les rapports à des rapports d’identité. Quand le savant, appliquant le principe du déterminisme universel, a prouvé que, tel ensemble de conditions, étant donné tel fait doit se produire, il ne recherche pas quelle est la nature du lien qui unit le fait à ses conditions ; il se contente de constater qu’en posant telles ou telles données empiriques, on prépare l’apparition de tel ou tel événement. Le métaphysicien estime qu’expliquer ainsi les choses, ce n’est pas les expliquer complètement : après avoir constaté qu’un fait en produit un autre, il faut démontrer pourquoi il le produit, et le seul moyen de rendre intelligible la production d’un fait nouveau, c’est de supposer qu’il existait déjà virtuellement, qu’il était implicitement contenu dans ses antécédents. De cette manière il n’y a plus de solution de continuité entre ce qui a été et ce qui est, entre ce qui est et

  1. Intelligence, II, 402, 419.
  2. La structure des choses est donc la même dans les sciences d’expérience que dans les sciences de construction, et, dans les unes comme dans les autres, l’intermédiaire explicatif et démonstratif qui sert de lien entre une propriété quelconque et un composé quelconque, est un caractère ou une somme de caractères différents ou semblables inclus dans les éléments du composé. (Intelligence, II, 453.) — Il suit de là que dans les lois expérimentales, comme dans la loi géométrique, les propriétés d’un composé plus complexe lui sont liées par l’entremise de propriétés, de facteurs ou composés plus simples. (Idem, 441, 442.)
  3. Les intermédiaires derniers qui les expliquent et les démontrent sont les propriétés de cinq ou six facteurs primitifs énoncés par une douzaine d’axiomes, lesquels ne sont eux-mêmes, comme on l’a vu, que des applications du principe d’identité. (Intelligence, II, 428, 429.)