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HOMMAY.l’idée de nécessité

réagit sur le système tout entier ; en modifiant la conception empirique de la causalité, il modifie du même coup la conception empirique de l’intelligence, de la science et du monde.

Si les phénomènes sont unis de telle sorte que l’effet est virtuellement contenu dans la cause, la cause et l’effet sont indissolubles ; les concevoir l’un sans l’autre, c’est former une idée contradictoire ; on peut donc déduire avec une certitude infaillible de la présence de la cause la production de l’effet. L’infini n’est plus irrévocablement fermé à l’esprit humain ; les mots d’éternité et d’immutabilité reprennent un sens ; les données ultimes, entre lesquelles nos axiomes, conçus à la manière empirique, n’établissaient qu’un lien contingent et éphémère, sont liées nécessairement et pour jamais[1].

Une perspective grandiose s’ouvre devant la science, affermie dans ses fondements : si l’objet et la méthode varient avec les diverses sciences, le but poursuivi et le résultat atteint sont toujours identiques : retrouver partout des éléments indécomposables desquels dérivent les lois plus générales ; de celles-ci, des lois particulières, et de ces lois les faits que nous observons, telle est l’œuvre de la science[2]. Partout la structure des choses est la même[3] ; expliquer, c’est aller des composés aux composants, du tout complexe aux éléments simples, des propriétés dérivées aux propriétés primordiales. Que l’objet de la démonstration soit une proposition de géométrie ou une loi de la nature, la démonstration consiste toujours à retrouver un intermédiaire explicatif, et cet intermédiaire explicatif est toujours une propriété des facteurs primitifs : l’égalité des côtés opposés d’un parallélogramme résulte de l’égalité des triangles dans lesquels on le décompose ; l’égalité de ces triangles résulte de l’égalité des angles alternes-internes, conséquence directe du parallélisme des côtés opposés. Le parallélisme des côtés opposés de la figure emporte donc leur égalité ; de même l’attraction exercée par le soleil sur une planète résulte de ce fait que toute planète est une masse, et que toute masse est attirée par la masse centrale avec laquelle

    V, 408.) — … La cause ne diffère pas de l’effet ; la force active par laquelle nous figurons la nature n’est que la nécessité logique qui transforme l’un dans l’autre le composé et le simple, le fait et la loi. (Idem., V, 411.)

  1. Si, comme dit Mill, elles (ces données) ne faisaient que s’accompagner, nous serions forcé de conclure comme Mill que peut-être elles ne s’accompagneront pas toujours. Si au contraire les deux données sont telles que la première enferme la seconde, nous établissons par cela même la nécessité de leur jonction. (Littérature anglaise, V, 406.)
  2. Littérature anglaise, V, 410.
  3. Intelligence, II, 453.