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L’IDÉE DE NÉCESSITÉ

DANS LA PHILOSOPHIE DE M. TAINE[1]


L’étude de la doctrine de M. Taine s’impose à quiconque veut pénétrer les causes et définir les caractères du puissant mouvement de philosophie empirique auquel nous assistons. Si M. Taine occupe une telle place dans l’histoire de la pensée moderne, ce n’est pas seulement parce qu’il a su exprimer dans de brillantes formules certains états d’âme caractéristiques de cette seconde moitié du xixe siècle ; c’est aussi parce qu’il a été l’initiateur d’un mouvement fécond, l’un des penseurs qui ont le plus puissamment contribué à rajeunir, en leur ouvrant des voies nouvelles et plus larges, en les plaçant dans un cadre plus solide et plus brillant, des doctrines qui ont toujours eu des racines profondes dans les tendances de l’esprit français. Par l’unité de sa vie, par l’admirable indépendance de ses jugements, par son affranchissement absolu des préjugés et des convenances littéraires, il a réalisé, autant qu’il est donné à un homme de le faire, l’idéal du pur penseur qui, dédaigneux des outrages, insouciant du tumulte qu’il soulève en heurtant dans sa mâle franchise les préjugés invétérés et les instincts profonds, du milieu des obstacles et des amertumes de la vie, s’achemine avec une fermeté sereine vers la démonstration de ce qu’il croit la vérité.

Nous n’avons pas l’ambition de résumer ici une vie aussi remplie ni une œuvre aussi riche : notre but est d’étudier un seul point, l’un des plus importants, il est vrai, de la doctrine philosophique de M. Taine : sa théorie de la connaissance ; et, comme il arrive presque toujours qu’on ne se définit jamais mieux soi-même qu’en essayant de définir les autres, c’est dans la critique qu’il a faite de Stuart Mill que nous essayerons de retrouver les caractères essentiels de cette méthode et de ce remarquable esprit.

  1. L’auteur du présent article est mort l’an dernier des suites d’un accident. Les pages qui suivent ont été trouvées sans titre parmi ses papiers. C’est nous qui leur avons donné celui qu’elles portent aujourd’hui. (E. Durkheim.)