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d’être attentif a été un avantage de premier ordre dans la lutte pour la vie ; mais il faut laisser l’homme et descendre plus bas, très bas dans l’animalité. J’écarte les formes tout à fait rudimentaires de la vie psychique qui prêtent trop aux conjectures et aux divagations. Pour que l’attention puisse naître, il faut au moins quelques sens développés, quelques perceptions nettes et un appareil moteur suffisant. Riccardi, dans le travail cité, trouve la première expression claire de l’attention chez les arthropodes.

Un animal organisé de telle sorte que les impressions du monde extérieur soient toutes équivalentes pour lui et restent sur le même plan dans sa conscience, sans qu’aucune prédomine et entraîne une adaptation motrice appropriée, serait bien mal armé pour sa conservation. J’écarte le cas extrême où la prédominance et l’adaptation seraient en faveur des impressions nuisibles ; car un animal ainsi constitué doit périr, étant un organisme illogique, une contradiction réalisée. Reste le cas ordinaire prédominance des sensations utiles, c’est-à-dire liées à sa nourriture, sa défense, la propagation de son espèce. L’impression d’une proie à saisir, d’un ennemi éviter et, de loin en loin, d’une femelle à féconder, s’impose dans la conscience de l’animal avec des mouvements adaptés. L’attention est au service et sous la dépendance du besoin ; toujours liée au sens le plus parfait ; tactile, visuelle, auditive, olfactive, suivant l’espèce. La voilà dans toute sa simplicité, et c’est ce qui instruit le mieux. Il fallait descendre jusqu’à ces formes rudimentaires pour saisir la raison de sa puissance (elle est une condition de la vie), et elle conservera le même caractère dans les formes supérieures, où, cessant d’être un facteur d’adaptation au milieu physique, elle deviendra, comme nous le verrons, un facteur d’adaptation au milieu social. Dans toutes les formes de l’attention, de la plus basse à la plus haute, il y a unité de composition.

D’ailleurs, même chez les animaux les plus élevés, elle perd son caractère borné et matériel. L’immense majorité des espèces animales est enfermée dans ce cercle étroit : se nourrir, se défendre, se propager, et y épuise son activité. Les plus intelligents ont une activité superflue qui se dépense sous la forme du jeu, manifestation si importante que plusieurs auteurs en ont fait la source de l’art. À ce besoin de luxe correspond une attention de luxe. Le chien que son maître amuse d’une certaine manière, devient attentif quand il le voit se préparer. Un bon observateur d’enfants, Sikorski, a montré que leur activité se développe surtout dans les jeux.

Ceci nous conduit à la deuxième forme de l’attention qui sera étudiée dans un prochain article.

Th. Ribot.