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RIBOT.le mécanisme de l’attention

des émotions, et, sous sa forme forte, c’est une commotion. À proprement parler, c’est moins un état qu’un intermède entre deux états, une rupture brusque, une lacune, un hiatus. Au moment du choc, le polyidéisme antérieur s’arrête net, parce que l’état nouveau fait irruption, comme un géant, dans le struggle for life qui existe entre les états de conscience. Peu à peu, l’état nouveau est classé, mis en connexion avec d’autres, l’équilibre tend à se rétablir ; mais, la surprise passée, l’état qui lui succède d’abord c’est l’attention, c’est-à-dire un monoïdéisme ajusté : l’adaptation a eu le temps de se faire. L’élément intellectuel reprend le dessus sur l’élément émotionnel. Il est très vraisemblable que, dans la surprise, c’est parce qu’on sent trop qu’on connaît mal.

Du côté physique, les symptômes sont l’exagération de l’attention spontanée. « L’attention, nous l’avons vu, se manifeste par une légère élévation des sourcils. Quand elle passe à l’état de surprise, ceux-ci s’élèvent beaucoup plus énergiquement ; les yeux s’ouvrent largement ainsi que la bouche….. Le degré auquel s’ouvrent ces deux organes correspond à l’intensité de la surprise ressentie[1]. » Cette élévation des sourcils est un acte instinctif ; car elle se rencontre chez les aveugles nés : elle permet d’ouvrir les yeux très rapidement. Quant à l’ouverture de la bouche, elle permet une inspiration vigoureuse et profonde que nous faisons toujours avant un grand effort.

Nous avons dit que la surprise, c’est l’attention spontanée en grossissement. Je pense que cette affirmation est justifiée. Ce que cet état démontre le mieux, ce sont les causes affectives de l’attention spontanée car il y a une gradation insensible de celle-ci à la surprise, à l’étonnement, à la stupéfaction, finalement à l’effroi et à la terreur, qui sont des états affectifs très intenses.

Ramenés ainsi à notre point de départ, nous pouvons voir maintenant que l’origine de l’attention est très humble et que ses premières formes ont été liées aux conditions les plus impérieuses de la vie animale. L’attention n’a eu d’abord qu’une valeur biologique. L’habitude des psychologues de s’en tenir à l’attention volontaire, et même à ses manifestations supérieures, cachait cette origine.

On peut dire a priori que si l’attention a pour motif des états affectifs qui ont pour causes des tendances, besoins, appétits, elle se rattache, en dernière analyse, à ce qu’il y a de plus profond dans l’individu, l’instinct de la conservation.

Un examen rapide des faits nous fera mieux voir, que la possibilité

  1. Darwin, ouvrage cité, ch.  XII. L’origine probable de ces divers mouvements y est discutée.