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RIBOT.le mécanisme de l’attention

mécanisme : « D’abord, excitation du trajet d’idéation approprié, au moyen de la représentation externe ou de la représentation interne ; secondement, augmentation d’énergie de cette première stimulation par une nouvelle stimulation due à l’innervation motrice correspondante ; troisièmement, une nouvelle augmentation d’énergie, par la réaction subséquente des centres perceptifs, plus actifs que les autres, sur l’idée ; car l’influence réciproque de ces facteurs sensoriels et moteurs renforce jusqu’à un certain point son activité ».

Si donc nous comparons l’état ordinaire à l’état d’attention, nous trouvons : dans le premier, des représentations faibles, peu de mouvements ; dans le second, une représentation vive, des mouvements énergiques et convergents, plus la répercussion des mouvements produits. Il importe peu que ce dernier apport soit conscient ou non ce n’est pas la conscience qui fait la besogne, elle en profite.

On dira peut-être : Nous admettons cette réaction des mouvements sur le cerveau, mais rien ne prouve que les mouvements ne soient pas à l’origine un simple effet de l’attention. Il y a trois hypothèses possibles : L’attention (l’état de conscience) est cause des mouvements, ou elle en est l’effet, ou elle en est d’abord la cause, ensuite l’effet.

Je demande à ne pas choisir entre ces trois hypothèses d’une valeur purement logique et dialectique et à poser la question autrement. Sous cette forme, elle est tout imprégnée, sans qu’il y paraisse, de ce dualisme traditionnel dont la psychologie a tant de peine à se débarrasser, et elle se réduit, en définitive, à demander si, dans l’attention, c’est l’âme qui agit d’abord sur le corps ou le corps sur l’âme. Je n’ai pas à résoudre cette énigme. Pour la psychologie physiologique, il n’existe que des états intérieurs, différant entre eux tant par leurs qualités propres que par leurs concomitants physiques. Si l’état intellectuel qui se produit est faible, court, sans expression saisissable, ce n’est pas l’attention. S’il est fort, stable, délimité et traduit par les modifications physiques susmentionnées, c’est l’attention. Ce que nous soutenons, c’est que l’attention n’existe pas in abstracto, à titre d’événement purement intérieur : c’est un état concret, un complexus psycho-physiologique. Chez notre spectateur à l’Opéra, qu’on supprime, par hypothèse, l’adaptation des yeux, de la tête, du corps, des membres, les changements de la respiration et de la circulation cérébrale, etc., la réaction consciente ou inconsciente de tous ces phénomènes sur le cerveau ; ce qui reste du tout primitif, ainsi dépouillé et vidé, n’est plus l’attention. S’il reste quelque chose, c’est un état de conscience éphémère, l’ombre de ce qui a été. Nous espérons que cet exemple, quelque chimérique qu’il soit, nous fera mieux comprendre que de longs discours. Les