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tionnent fournissent un travail supérieur à la moyenne. L’attention cause certainement une innervation intense, comme le prouvent les nombreuses expériences de psychométrie où elle entre en jeu. « Une idée en activité, dit Maudsley (loc. cit., p. 297), engendre dans les éléments nerveux un changement moléculaire qui se propage le long des nerfs sensitifs jusqu’à la périphérie ou du moins jusqu’aux ganglions sensoriels dont la sensibilité se trouve ainsi accrue. Il résulte de cette propagation de l’action moléculaire aux ganglions que les muscles en rapport avec le sens sollicité entrent, par action réflexe, en une certaine tension et augmentent le sentiment de l’attention. » Pour Hartmann, l’attention « consiste en vibrations matérielles des nerfs », « en un courant nerveux qui parcourt les nerfs sensibles en se dirigeant du centre à la périphérie ». Mais il y a un autre élément et non le moins important.

2o Comme organe moteur, le cerveau joue un rôle complexe. D’abord, il agit comme initiateur des mouvements qui accompagnent la perception, l’image ou l’idée ; puis ces mouvements, souvent intenses, reviennent au cerveau par le moyen du sens musculaire à titre de sensations des mouvements ; celles-ci augmentent la quantité d’énergie disponible qui d’une part sert à maintenir ou à renforcer la conscience ; d’autre part, revient à son point de départ sous la forme d’un nouveau mouvement. Il y a ainsi un va-et-vient du centre à la périphérie, de la périphérie au centre, du centre renforcé à la périphérie et ainsi de suite. L’intensité de la conscience n’est que l’expression subjective de ce travail compliqué. Mais supposer qu’elle puisse durer sans ces conditions organiques, c’est une hypothèse gratuite, en complet désaccord avec tout ce que l’expérience nous montre. Le spectateur naïf qui s’ennuie à l’Opéra devient tout attention s’il se produit un brusque changement de décor, c’est-à-dire que l’impression visuelle a produit instantanément une adaptation des yeux et de tout le corps. Sans cette convergence organique, l’impression s’évanouirait rapidement. « C’est, dit Wundt, dans la réaction prépondérante sur les parties sensitives, source originelle du processus, que consiste essentiellement la différence entre l’attention et le mouvement volontaire. Dans celui-ci, l’excitation centrale prend sa direction principale vers les muscles ; dans l’attention, les muscles ne concourent qu’à des mouvements sympathiques subordonnés[1] » ; en d’autres termes, il se produit une réflexion de mouvements. Enfin, résumons, avec Maudsley, ce

  1. Physiologische Psychologie, p. 723-724 de la première édition. Ce passage ne se rencontre plus dans la seconde.