Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
389
RIBOT.le mécanisme de l’attention

bras ou les jambes. C’est là une dépense, non une économie de mouvements ; mais c’est une dépense qui profite. Les mouvements ainsi produits ne sont pas de simples phénomènes mécaniques agissant sur le milieu extérieur ; ils agissent aussi, par le sens musculaire, sur le cerveau qui les reçoit, comme toute autre impression sensorielle, et ils augmentent l’activité cérébrale. Une marche rapide, une course accélèrent le cours des idées et de la parole ; elles produisent, comme dit Bain, une ivresse mécanique. Les recherches expérimentales de M. Féré, publiées ici[1], nous fournissent de nombreux exemples de l’action dynamogénique des mouvements. Nous étirons nos bras et nos jambes pour nous mettre en train de travailler, c’est-à-dire nous réveillons les centres moteurs. Des mouvements passifs, imprimés à des membres paralysés, ont pu, dans certains cas, en ravivant les images motrices, restituer l’activité perdue. Remarquons d’ailleurs que ces mouvements ont pour résultat d’augmenter l’activité mentale, non de concentrer l’attention ; ils lui fournissent simplement une matière. C’est une opération préliminaire.

Cette objection écartée, nous avons maintenant à déterminer le véritable rôle des mouvements dans l’attention. Nous nous sommes bornés jusqu’ici à les décrire, du moins les principaux. Ramenons la question à ses termes les plus clairs et les plus simples :

Les mouvements de la face, du corps, des membres, et les modifications respiratoires qui accompagnent l’attention sont-ils simplement, comme on l’admet d’ordinaire, des effets, des signes ? Sont-ils, au contraire, les conditions nécessaires, les éléments constitutifs, les facteurs indispensables de l’attention ? Nous admettons cette seconde thèse, sans hésiter. Si l’on supprimait totalement les mouvements, on supprimerait totalement l’attention.

Quoique nous ne puissions établir cette thèse qu’en partie (l’étude de l’attention volontaire, réservée pour un autre article, nous la fera voir sous un nouvel aspect), comme nous touchons ici au point essentiel du mécanisme de l’attention, il convient d’insister.

Le rôle fondamental des mouvements dans l’attention consiste à maintenir l’état de conscience et à le renforcer. Puisqu’il s’agit d’un mécanisme, il est préférable de prendre la question par son côté physiologique, en considérant ce qui se passe dans le cerveau, au double titre d’organe intellectuel et d’organe moteur.

1o Comme organe intellectuel, le cerveau sert de substratum aux perceptions (dans l’attention sensorielle), aux images et aux idées (dans la réflexion). Par hypothèse, les éléments nerveux qui fonc-

  1. Voir le numéro d’octobre 1887.