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examen, toute recherche de la nourriture s’accompagne donc d’une activité prépondérante de la bouche et de ses annexes. Chez le nouveau-né qui tette, la bouche s’allonge en avant. » Il se formerait ainsi une association entre les premiers mouvements de la bouche et l’activité de l’attention.

La réflexion s’exprime d’une autre manière, presque inverse. Elle agit sur l’orbiculaire supérieur des paupières, abaisse le sourcil. Par suite, il se forme des petits plis verticaux dans l’espace intersourcilier, l’oil est voilé ou tout à fait fermé, ou bien il regarde intérieurement. Ce froncement des sourcils donne à la physionomie une expression d’énergie intellectuelle. La bouche est fermée, comme pour soutenir un effort.

L’attention s’adapte au dehors, la réflexion au dedans. Darwin explique le mode expressif de la réflexion par l’analogie. C’est l’attitude de la vision difficile, transférée des objets extérieurs aux événements intérieurs qui se laissent saisir malaisément[1].

Nous n’avons parlé jusqu’ici que des mouvements de la face, mais il y a ceux du corps tout entier : de la tête, du tronc, des membres. Il est impossible de les décrire en détail, parce qu’ils varient avec chaque espèce animale[2]. Il y a, en général, immobilité, adaptation des yeux, des oreilles, du toucher, suivant les cas : en un mot, tendance vers l’unité d’action, convergence. La concentration de la conscience et celle des mouvements, la diffusion des idées et celle des mouvements vont de pair. Rappelons les remarques et les calculs de Galton à ce sujet. Il a observé un auditoire de cinquante personnes assistant à un cours ennuyeux. Le nombre des mouvements nettement appréciables de l’auditoire était très uniforme : quarante-cinq par minute, soit, en moyenne, un mouvement par personne. À plusieurs reprises, l’attention du public ayant été réveillée, le nombre des mouvements diminua de moitié ; ils étaient, en outre, moins étendus, moins prolongés, plus brefs et plus rapides.

Je préviens, en passant, une objection. Chacun sait que l’attention, au moins sous sa forme réfléchie, s’accompagne quelquefois de mouvements. Beaucoup de gens trouvent que la marche les aide à sortir d’une perplexité ; d’autres se frappent le front, se grattent la tête, se frottent les yeux, remuent d’une façon incessante et rythmique les

  1. Pour les détails, voir Darwin, Expression des émotions, ch.  X ; Preyer, l’Âme de l’enfant, trad. française, p. 250 et suiv. ; Mantegazza, la Physionomie, ch.  XVI
  2. On trouvera une bonne étude sur l’expression de l’attention chez les animaux dans Riccardi, Saggio di studi e di osservazioni intorno all’attenzione nell’uomo e negli animali. Modène, 1877 (2e partie, p. 1-17).