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RIBOT.le mécanisme de l’attention

monistes, trop indulgents pour leurs fantaisies, s’en étaient seuls occupés.

Duchenne (de Boulogne), initiateur en ce sujet comme en plusieurs autres, eut l’idée de substituer à l’observation pure, pratiquée par ses devanciers (Ch. Bell, Gratiolet, etc.), la méthode expérimentale. Il provoquait, par l’électricité, la contraction isolée d’un muscle de la face sur un homme atteint d’anesthésie et fixait par la photographie le résultat de l’expérience. D’après la théorie qu’il a exposée dans son Mécanisme de la physionomie humaine (1862), il suffit souvent de la contraction d’un seul muscle pour exprimer une émotion ; chaque état affectif produit une modification locale unique. Ainsi, pour lui, le frontal est le muscle de l’attention, l’orbiculaire supérieur des paupières le muscle de la réflexion, le pyramidal le muscle de la menace, le grand zygomatique le muscle du rire, le sourcilier le muscle de la douleur, le triangulaire des lèvres le muscle du mépris, etc. Toutefois, Duchenne se bornait à constater les faits, suivant en cela l’exemple de J. Müller qui déclarait que l’expression des émotions est un fait totalement inexplicable. — Darvin alla plus loin. Usant de la méthode comparative et s’appuyant sur de laborieuses enquêtes, il rechercha l’origine des divers mécanismes de l’expression ; il s’efforça d’établir pourquoi la contraction de tel muscle déterminé du visage est associée nécessairement à tel état déterminé de l’esprit.

En l’absence de ces investigations minutieuses, toute tentative pour expliquer le mécanisme de l’attention eût été prématurée. Comment expliquer un mécanisme dont on ne connaît pas les rouages ? Voyons sommairement ce que l’on sait sur l’attention sous ses deux formes : appliquée aux objets extérieurs (attention proprement dite) ou aux événements intérieurs (réflexion).

L’attention (pour préciser, nous l’appellerons sensorielle) contracte le frontal. Ce muscle, qui occupe toute la région du front, a son insertion mobile dans la face profonde de la peau du sourcil et son insertion fixe dans la partie postérieure du crâne. En se contractant, il tire à lui le sourcil, l’élève et détermine des rides transversales sur le front : par suite, l’œil est grand ouvert, bien éclairé. Dans les cas extrêmes, la bouche s’ouvre largement. Chez les enfants et chez beaucoup d’adultes, l’attention vive produit une protrusion des lèvres, une sorte de moue. Preyer a essayé d’expliquer ce jeu de physionomie par une influence héréditaire. « Tous les animaux, dit-il, dirigent d’abord leur attention vers la recherche de la nourriture. Les objets que peuvent atteindre leurs lèvres, leurs poils tactiles, leur trompe et leur langue sont ceux sur lesquels se font leurs premières recherches. Tout