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influences des états affectifs. Les expériences de Mosso, entre autres, montrent que l’émotion la plus légère, la plus fugitive, cause un afflux de sang au cerveau. « La circulation sanguine est plus active dans l’organe cérébral pendant qu’il travaille que pendant le repos. Nous sommes donc autorisés à dire que l’attention en se portant sur un ensemble d’idées a pour effet d’accélérer la circulation dans le substratum nerveux de ces idées. C’est précisément ce qui arrive, lorsqu’une idée s’est fortement emparée de l’esprit : elle maintient dans le cerveau une circulation active et ne lui permet pas de se reposer et de s’endormir[1]. » Notons encore, après une attention prolongée, la rougeur (quelquefois la pâleur) du visage.

II. Les modifications respiratoires qui accompagnent l’attention se rapprochent des phénomènes moteurs proprement dits et entrent pour une part dans le sentiment de l’effort. Le rythme de la respiration change, il se ralentit et subit parfois un arrêt temporaire. « Acquérir le pouvoir d’attention, dit Lewes, c’est apprendre à faire alterner les ajustements mentaux avec les mouvements rythmiques de la respiration. C’est une expression heureuse que celle qui, en français, désigne un penseur vif, mais superficiel, comme incapable d’une œuvre de longue haleine[2]. » Le bâillement qui suit un effort soutenu d’attention est probablement l’effet du ralentissement de la respiration. Souvent, en pareil cas, nous produisons une inspiration prolongée, pour renouveler amplement l’air de nos poumons. Le soupir, autre symptôme respiratoire, est, comme l’ont fait remarquer plusieurs auteurs, commun à l’attention, à la douleur physique et morale : il a pour fin d’oxygéner le sang narcotisé par l’arrêt volontaire ou involontaire de la respiration.

Tous ces faits sont autant de preuves en faveur de ce qui a été dit plus haut : l’attention est un fait exceptionnel, anormal, qui ne peut durer longtemps.

III. Les mouvements du corps qui, suivant la locution admise, expriment l’attention, sont d’une importance capitale. Nous ne pouvons dans cet article en faire qu’une étude partielle ; le reste sera mieux à sa place sous le titre de l’attention volontaire : mais ici, pour la première fois, nous allons entrevoir le mécanisme moteur de l’attention.

Examinons d’abord les faits. Ils n’ont été étudiés sérieusement que de nos jours. Auparavant, les artistes et quelques physiogno-

  1. Maudsley, Physiologie de l’esprit, trad. Herzen, p. 301.
  2. Lewes, Loc. cit., p. 188.