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ressemblance qui leur serait commune en tant que représentations, mais parce qu’il y a un même fait affectif qui les enveloppe[1] et qui les réunit. Il resterait aussi à ramener les lois de l’association à des lois physiologiques, le mécanisme psychologique au mécanisme cérébral qui le supporte mais nous sommes bien loin de cet idéal.

L’état normal, c’est la pluralité des états de conscience ou, suivant une expression employée par certains auteurs, le polyidéisme. L’attention est l’arrêt momentané de ce défilé perpétuel, au profit d’un seul état : c’est un monoïdéisme. Mais il est nécessaire de bien déterminer dans quel sens nous employons ce terme. L’attention est-elle la réduction à un seul et unique état de conscience ? Non, l’observation intérieure nous apprend qu’elle n’est qu’un monoïdéisme relatif, c’est-à-dire qu’elle suppose l’existence d’une idée maîtresse attirant tout ce qui se rapporte à elle et rien d’autre, ne permettant aux associations de se produire que dans des limites très étroites et à condition qu’elles convergent vers un même point. Elle draine à son profit, du moins dans la mesure possible, toute l’activité cérébrale.

Existe-t-il des cas de monoïdéisme absolu, où la conscience est réduite à un seul et unique état qui la remplit tout entière, où le mécanisme de l’association s’arrête totalement ? À notre avis, cela se rencontre dans quelques cas très rares d’extase que nous analyserons plus tard ; mais c’est un instant fugitif, parce que la conscience, placée en dehors des conditions rigoureusement nécessaires de son existence, disparaît.

L’attention (nous rappelons encore une fois, pour n’y plus revenir, que nous n’étudions que les cas bien nets) consiste donc dans substitution d’une unité relative de la conscience à la pluralité d’états, au changement qui est la règle. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour la définir. Un fort mal de dents, une colique néphrétique, une jouissance intense produisent une unité momentanée de la conscience que nous ne confondons pas avec l’attention. L’attention a un objet ; elle n’est pas une modification purement subjective : c’est une connaissance, un état intellectuel. Nouveau caractère à noter.

Ce n’est pas tout. Pour la distinguer de certains états qui s’en rapprochent et qui seront étudiés au cours de ce travail (par exemple les idées fixes), nous devons tenir compte de l’adaptation qui l’accompagne toujours et qui — nous essayerons de l’établir — la constitue en grande partie. En quoi consiste cette adaptation ? Pour le moment, bornons-nous à une vue tout à fait superficielle.

  1. Voir de bons exemples dans J. Sully : Illusions, ch.  VII.