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RIBOT.le mécanisme de l’attention

tion, un résultat de l’éducation, du dressage, de l’entraînement. Précaire et vacillante par nature, elle tire toute sa substance de l’attention spontanée, en elle seule elle trouve un point d’appui. Elle n’est qu’un appareil de perfectionnement et un produit de la civilisation.

L’attention, sous ses deux formes, n’est pas une activité indéterminée, une sorte « d’acte pur » de l’esprit agissant par des moyens mystérieux et insaisissables. Son mécanisme est essentiellement moteur, c’est-à-dire qu’elle agit toujours sur des muscles et par des muscles, principalement sous la forme d’un arrêt ; et l’on pourrait choisir comme épigraphe de cette étude la phrase de Maudsley : « Celui qui est incapable de gouverner ses muscles est incapable d’attention. »

L’attention, sous ses deux formes, est un état exceptionnel, anormal, qui ne peut durer longtemps, parce qu’il est en contradiction avec la condition fondamentale de la vie psychique : le changement. L’attention est un état fixe. Si elle se prolonge outre mesure, surtout dans des conditions défavorables, chacun sait par expérience qu’il se produit une obnubilation de l’esprit toujours croissante, finalement une sorte de vide intellectuel, souvent accompagné de vertige. Ces troubles légers, transitoires, dénotent l’antagonisme radical de l’attention et de la vie psychique normale. La marche vers l’unité de conscience qui est le fond même de l’attention, se montre mieux encore dans les cas franchement morbides que nous étudierons plus tard, sous leur forme chronique qui est l’idée fixe, et sous leur forme aiguë qui est l’extase.

Dès à présent et sans sortir des généralités, nous pouvons, à l’aide de ce caractère bien net — la tendance vers l’unité de conscience — arriver à définir l’attention. Si nous prenons un homme adulte, sain, d’intelligence moyenne, le mécanisme ordinaire de sa vie mentale consiste en un va-et-vient perpétuel d’événements intérieurs, en un défilé de sensations, de sentiments, d’idées et d’images qui s’associent ou se repoussent suivant certaines lois. À proprement parler, ce n’est pas, comme on l’a dit souvent, une chaîne, une série, mais plutôt une irradiation en plusieurs sens et dans plusieurs couches, un agrégat mobile qui se fait, se défait et se refait incessamment. Tout le monde sait que ce mécanisme a été très bien étudié de nos jours et que la théorie de l’association forme l’une des pièces les plus solides de la psychologie contemporaine. Non que tout ait été fait ; car, à notre avis, on n’a pas tenu assez compte du rôle des états affectifs comme cause cachée d’un grand nombre d’associations. Plus d’une fois il arrive qu’une idée en évoque une autre, non en vertu d’une