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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

de ceux qui n’ont encore commis aucun acte nuisible[1] et le droit d’intervention dans leurs affaires privées.

Si la science reconnaît que tel dégénéré est plus qu’un autre susceptible d’une modification favorable sous l’influence de mesures hygiéniques ou thérapeutiques convenables, elle peut le réclamer pour l’aider à ressaisir sa puissance et racheter son indépendance ; mais cette intervention doit être toujours subordonnée à l’intérêt général, la science ne peut pas nier que le mal n’ait été commis, ni prouver que les victimes doivent légitimement supporter les conséquences matérielles de l’acte nuisible, ou que la société doive supporter de préférence les conséquences de telle forme dégénérative.

M. O. H. Smith a suggéré à M. Spencer un moyen intéressant de garantie contre les criminels. Quand la réparation du dommage a été faite, une personne « honorable et dans une bonne position » peut rendre la liberté au condamné en répondant premièrement de « toute injustice que le libéré pourrait commettre envers ses concitoyens ». Ce moyen paraît particulièrement applicable aux criminels-malades dont le médecin peut devenir le garant naturel[2].

On peut imaginer telles conditions dans lesquelles la dispense de la réparation puisse être accordée au criminel dans l’intérêt public ; mais on ne peut pas admettre que cette dispense soit accordée aux dépens du particulier que le criminel aura choisi pour victime.

Nous n’avons fait qu’ébaucher une étude sur la valeur sociale des dégénérés ; nous aurons occasion de revenir avec plus de détails sur leur histoire naturelle et sur les mesures à prendre en vue de leur répression et de leur protection.

Ch. Féré.

    appartient au médecin de prescrire ; la séquestration est une mesure de sécurité publique qui ne peut être ordonnée, que par la justice. Les mesures propres à assurer la sécurité publique, constituant en somme la fonction de protection qui est dévolue à l’État, il n’y a pas lieu de s’étonner que quelques défenseurs jaloux de la liberté individuelle aient eu l’idée de confier exclusivement à l’État la séquestration des aliénés.

  1. Il est impossible d’étayer sur une base scientifique la distinction entre les aliénés dangereux et les aliénés inoffensifs (Dagonet, Ann. médic. psych., sept. 1882, p. 301 ; — Legrand du Saulle, Rapport au nom de la commission du Sénat, par Broussel, p. 270 ; — Mettetal, annexe au même rapport, p. 279, etc.). La plupart des accidents, incendies, meurtres, coups et blessures, viols, etc., sont dus à des aliénés réputés inoffensifs.
  2. Ce moyen, proposé par M. Spencer, ne serait d’ailleurs acceptable que si le garant était lié envers le libéré, autrement le libérateur et le condamné ne seraient plus dans le rapport de patron à employé (Spencer), mais dans le rapport de maître à esclave ; ce serait retourner à l’esclavage de la peine des anciens.