Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
revue philosophique

chologie expérimentale en Allemagne, il prévint ses lecteurs qu’on ne trouvait pas dans ce pays, comme en Angleterre, une ou deux écoles caractérisées et se résumant dans quelques grands noms, mais une agitation un peu confuse et d’un caractère impersonnel. De plus il remarqua que les progrès de cette psychologie étaient dus non à des philosophes, non à des psychologues de profession, mais à des physiologistes et à des savants de tout ordre. De même, le mouvement éthique que nous signalons est pendant longtemps resté anonyme et en partie latent. Il répondait à un besoin que ressentaient à la fois un certain nombre de penseurs, mais qui ne réussissait pas à se faire jour sous une forme déterminée. Il suscitait une foule de vues éparses au cours d’innombrables ouvrages, mais qui ne parvenaient pas à se rejoindre et à se consolider. Enfin ce n’est pas chez des moralistes proprement dits qu’ont pris naissance ces idées nouvelles, mais chez des juristes et surtout chez des économistes. C’est de l’économie politique qu’est parti tout le mouvement.

On a beaucoup parlé et on parle encore beaucoup en France du socialisme de la chaire (Kathedersocialismus). Mais si le mot est connu, la chose l’est beaucoup moins. Les économistes orthodoxes, qui gardent chez nous cette puissante influence qu’ils ont perdue dans les autres pays de l’Europe, ont fait tout le possible pour en dénaturer l’esprit et le caractère. On n’y a vu qu’une croyance immodérée dans la puissance du législateur et un respect superstitieux pour l’autorité de l’État : mais on n’a pas cherché sous ces doctrines la cause profonde dont elles dérivaient. En fait ce qui caractérise la nouvelle école économique, c’est un rapprochement intime de l’économie politique et de la morale qui a renouvelé ces deux sciences à la fois.

Les économistes orthodoxes ont entendu de trois manières les rapports de la morale et de l’économie politique. Pour les uns, le concept moral se ramenant à celui de l’utile, les deux sciences ne sont pas distinctes, mais la seconde absorbe la première. Pour les autres elles sont indépendantes mais parallèles. Elles se développent côte à côte et se prêtent un mutuel appui. C’est la théorie des heureux optimistes qui n’aperçoivent partout dans le monde social que concordance parfaite et harmonie providentielle. Toute grande vérité morale correspondrait à une vérité économique et c’est tout au plus si, de loin en loin, dans des questions de détail, on admet comme une action à distance des premières sur les secondes. Enfin il y a la théorie plus simple de ceux qui nient la question. « On a voulu, dit M. Maurice Block, établir les rapports qui