Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
revue philosophique

La condition pathogène primordiale du vice et du crime est la misère physiologique ; c’est sur elle que la sollicitude publique doit se porter tout d’abord. Mais, malheureusement, les données de la science relativement aux meilleures conditions de la vie varient incessamment et avec elle la notion d’utilité générale et la morale. Elles sont rarement assez précises pour pouvoir servir de base à une loi coercitive. Ce que nous savons par exemple de la dégénération progressive par hérédité ne nous permet pas de soumettre la reproduction des dégénérés à un contrôle légal.

Toutefois la diffusion de notions relatives à l’hérédité est peut-être capable dans une certaine mesure de diminuer le nombre des unions dégénératives ; et on peut espérer que les connaissances d’hygiène générale réussiront à modérer la marche progressive des déchéances physiques. Ses notions relatives aux conditions génératrices artificielles des dégénérescences, telles que les intoxication par l’alcool, par le tabac, par l’opium, etc., la mauvaise hygiène générale, l’insuffisance de l’alimentation, l’aération défectueuse, etc., peuvent diriger ces mesures préventives à la fois plus efficaces et plus faciles à imposer, parce qu’elles ne s’attaquent pas directement aux hommes, mais aux choses. Il n’est point nécessaire de s’arrêter à démontrer qu’une meilleure hygiène des générateurs serait capable d’influer heureusement sur les produits.

S’il est difficile d’obvier à la genèse des individus mal armés pour le combat de la vie, il est moins aisé encore de venir en aide d’une façon efficace à ceux qui sont nés dans ces conditions défectueuses, ou qui sont menacés du même danger par le manque de soins dont ils ont à souffrir dans leur enfance et leur jeunesse ; il est plus malaisé encore de secourir utilement ceux qui sont définitivement en déficit. Et cependant il est de l’intérêt bien entendu de la société de donner à ces déshérités des armes supplémentaires qui les mettent en mesure de soutenir moins désavantageusement la lutte, et permettent, à quelques-uns au moins, de ne pas tomber plus avant dans la classe des nuisibles. Le patronage des enfants moralement abandonnés n’a pas encore fait ses preuves, et le patronage des libérés n’a encore fourni que des résultats peu encourageants. Les dégénérés, précisément en raison de leur débilité native et de leur défaut d’adaptabilité, sont peu en mesure d’acquérir un surcroît d’aptitudes spéciales et de conserver définitivement un avantage qui leur a été en quelque sorte artificiellement imposé.

L’adaptation, sinon le perfectionnement des dégénérés, constitue une tâche hérissée de difficultés, parce que l’influence des agents extérieurs sur le développement de l’homme est trop peu connue