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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

nécessairement une cause de déficit social ; et si c’est de l’oisiveté que procèdent tous les vices, c’est qu’en vérité tous les affaiblis ont besoin à de certains moments d’excitations excessives qu’ils ne se peuvent procurer qu’aux dépens du fonds commun.

Tout improductif, qui est déjà une charge pour la communauté, ne peut que devenir plus nuisible si on ne parvient pas à modifier sa constitution ou les circumfusa qui déterminent chez lui des réactions morbides. Si chacun avait présent à l’esprit la nécessité de supporter les conséquences non seulement des actes destructeurs, mais aussi de l’oisiveté, on s’intéresserait plus aux mesures d’hygiène physique, ou morale, capables de diminuer les causes des impuissances momentanées ou des pertes irréparables de forces vives. Chacun se sentant intéressé directement à la santé publique, non plus par des raisons tirées d’un sentimentalisme sans base objective, mais sur des raisons d’intérêt personnel, ne pourrait qu’être excité à venir en aide à la police sanitaire aussi bien qu’à la police ordinaire et à chercher de nouvelles mesures propres à les perfectionner.

Si on avait démontré jusqu’à l’évidence que la prévention des dégénérescences, comme la prévention de la misère et des maladies, est pour chacun une affaire urgente, d’intérêt personnel, la question de la criminalité aurait fait un pas considérable.

Ainsi les dégénérescences ont une origine sociale et la société doit en supporter les conséquences matérielles ; les dégénérés sont des déchets sociaux, leurs actes nuisibles doivent être réparés intégralement aux dépens de la société[1]. Cette obligation qui impose à tous les charges de la solidarité est le seul remède aux dégénérescences, et ses effets sont d’autant plus sûrs qu’elle est remplie plus complètement, c’est-à-dire que les devoirs de la solidarité sont plus lourds.

Les criminels et les autres dégénérés sont les conséquences de leurs antécédents, et plus ou moins influencés par leur milieu. Malgré de grandes probabilités tirées de leurs caractères physiques et de leurs manifestations physiologiques ou psychiques, rien ne prouve que, considérés individuellement, leur évolution soit nécessairement fatale. C’est donc contre les méfaits seulement et non point contre l’existence de ceux qui les commettent que la société a le droit de se prémunir.

  1. E. de Girardin s’appuyait exclusivement sur l’inefficacité des peines corporelles pour proposer d’admettre la responsabilité pécuniaires des parents au même titre qu’ils héritent et dans l’ordre qui leur est assigné par les articles 733, 734, 736, 737, 738 du code Napoléon. La solidarité des familles et des communes n’était d’ailleurs pas une innovation (Le droit de punir, p. 165).