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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

d’accord pour nous apprendre que l’on est matériellement responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde, dit le code civil ; on est responsable du dommage causé par ses enfants mineurs, ses domestiques, ses employés, ses élèves, ses animaux, ses bâtiments qui menacent ruine[1]. Le gouvernement qui a accepté la charge de la protection sociale ne peut soutenir, il semble qu’il ne soit responsable, au même titre, des dommages causés par la négligence et l’impuissance de ses agents. Or, comme le gouvernement ne peut payer qu’aux frais de la collectivité, il résulterait de l’application de sa responsabilité, que le crime, manifestation sociale de la dégénérescence, aurait une réparation sociale. Chaque citoyen ayant à payer une part de cette réparation comprendrait plus directement l’utilité de concourir par lui-même, dans la mesure de ses forces disponibles, à la prévention des nuisances de tout ordre, c’est-à-dire à la prévention des dégénérescences. Chacun devrait pouvoir s’instruire de l’intérêt qu’il a à cette prévention dans une sorte de budget de la dégénérescence, établi par chapitres, comprenant à la fois la statistique et la perte produite par les crimes, les délits, les maladies, la paresse, etc. ; il pourrait ainsi doser en quelque sorte l’intérêt qu’il a à combattre les différents modes de déchéance de la race[2].

La solidarité ainsi comprise rend accessoires toutes les peines. « Ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient le plus sûrement les crimes, c’est la certitude du châtiment… L’homme tremble à l’idée des maux les plus légers, lorsqu’il voit l’impossibilité de s’y soustraire », (Beccaria). « Qu’on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes et non pas de la modération des peines » (Montesquieu). Or l’impunité doit nécessairement cesser dès que tous sont directement intéressés à la réparation.

Il est certain que la misère et ses satellites fidèles, le crime et la maladie, ne peuvent disparaître, sans cesse alimentés qu’ils sont par l’épuisement qui résulte de l’exagération croissante des efforts d’adap-

  1. Un seul article du code pénal a trait aux dommages causés par les aliénés art. 479 : seront punis d’une amende de 11 à 15 francs inclusivement… 2o ceux qui auront occasionné la mort des animaux ou bestiaux appartenant à autrui, par l’effet de la divagation des fous ou furieux, ou d’animaux malfaisants ou féroces, etc. Il est remarquable que législateur ait limité aux animaux sa protection.
  2. Au congrès de Rome (1885), on a proposé d’opérer le dédommagement au moyen d’une caisse des amendes (Rapport de M. Fioretti : Des meilleurs moyens pour obtenir le dédommagement du crime).