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comme les autres formes de dégénérescences, est une conséquence de l’adaptation, une conséquence de l’évolution sociale, et les dommages qu’il cause doivent être supportés socialement. D’ailleurs si l’on ne reconnaît pas cette nécessité de réparation par la société, nécessité qui ne résulte pas seulement d’une convention tacite, mais d’un contrat parfaitement régulier et dont chaque citoyen a tout d’abord rempli les charges en payant les divers services qui doivent assurer sa sécurité, il faut admettre que les citoyens inoffensifs et productifs doivent subir les conséquences des actes criminels dont ils sont victimes : leur responsabilité morale, si responsabilité morale il y avait, ne pourrait pas être mise en jeu un instant ; mais ils supporteront le poids de la responsabilité matérielle d’un acte délictueux ou criminel à l’exécution duquel ils sont étrangers et contre lequel ils ont acquis le droit d’être protégés. Le paradoxe de la responsabilité des victimes est journellement réalisé, grâce à une notion inexacte de l’utilité.

XIII

Le développement des nuisibles, des dégénérés de tout ordre est la conséquence du travail d’adaptation, de la civilisation ; mais il est d’autant plus rapide, qu’ils ne paraissent pas pour chacun une cause permanente de danger, et qu’on en vient à contester le droit de les supprimer et même de les tenir en respect. Leurs actes deviennent d’autant plus nuisibles et plus nombreux qu’on en poursuit moins énergiquement la réparation.

La réparation des conséquences du crime, ne pouvant se faire aux dépens du criminel en général insolvable, mais aux dépens de la société, qui est, en somme, le générateur du criminel, constitue non seulement un acte de justice envers la victime qui, remplissant ses devoirs sociaux, devait être assurée contre tout risque ; mais elle constitue la meilleure mesure préventive du crime. Par elle, les effets du crime au lieu d’être sentis, surtout individuellement, par les victimes sur lesquels pèse tout le mal, seront sentis, surtout socialement, collectivement, par tous les citoyens qui deviennent ainsi directement intéressés à sa prévention et à sa répression.

Lorsqu’un citoyen est admis à contribuer à toutes les charges sociales, la société, représentée par son gouvernement, accepte la mission de protéger sa personne et ses biens contre tous les risques qui viennent de l’extérieur ou de l’intérieur. Les agents qui sont préposés à cette protection sont supposés suffire à leur tâche ; leur rôle est inefficace, s’ils ne sont pas en mesure de prévoir tout ce qui peut nuire à un citoyen quelconque. Or la raison et le code civil sont