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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

poser, c’est-à-dire la réparation du dommage ; mais en général elle nécessite par elle-même une nouvelle perte sociale. Ce n’est pas sans raison qu’on a pu dire que la peine de mort est la plus efficace et la moins coûteuse, c’est elle qui remplit le mieux son but, c’est la plus juste[1].

L’intérêt public ne peut être satisfait que par la suppression radicale du criminel. C’est à cette suppression que tendent les anthropologistes en cherchant des caractères précis qui permettent de retrancher ns remords ceux qu’ils auront reconnus comme des criminels-nés. Nous avons vu que jusqu’à présent ces caractères restent illusoires.

« La morale qui protège l’individu directement en lui évitant d’être atteint par autrui, ou indirectement en sauvegardant sa liberté et en lui permettant de chercher le bonheur, est, dit Stuart Mill, la morale qui doit tenir le plus au cœur de l’homme, celle qu’il a le plus grand grand intérêt à professer, et à renforcer par la parole et l’action. » Ce qui en effet intéresse le plus chaque individu, ce n’est pas le châtiment du coupable, mais la réparation du dommage dont il peut être victime. L’association humaine n’a pas d’autre but que la sécurité individuelle, et chaque individu achète cette sécurité en payant un impôt matériel et personnel au besoin ; la convention de la solidarité n’est pas seulement une convention tacite, chacun paye les frais de a protection. Si le droit à la vengeance peut être contesté, il n’en est pas de même du droit à la protection qui a été acheté et payé d’avance. Aussi dit-on avec raison que la fonction de protection est la fonction essentielle de tout gouvernement.

Mais la fonction de protection n’est remplie que lorsque la sécurité de la personne et des biens de chacun est efficacement assurée. Or, ce qui établit la sécurité ce n’est pas un épouvantail constitué par un arsenal de peines inapplicables et qui ne peuvent servir à maintenir les criminels en respect, c’est la certitude que tout dommage qui n’aura pu être prévenu sera réparé aux dépens de la communauté. Ce n’est que sur l’assurance de cette protection que la solidarité peut trouver une base inattaquable. Mais on ne devient criminel qu’en raison d’un défaut d’équilibre entre les désirs et les moyens de production propres à les satisfaire, de sorte qu’en général et tout bien pesé, le criminel n’est et ne peut être qu’insolvable. La réparation du dommage ne peut donc pas être attendue du criminel. C’est au gouvernement, chargé de la fonction de protection, et qui a manqué à son devoir, de réparer le mal qu’il n’a pas su empêcher. Le crime,

  1. E. de Girardin. Le droit de punir, in-8o, 1871.