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XII

Si l’accord n’est pas parfait sur la conduite à tenir vis-à-vis des improductifs, il l’est encore moins relativement aux dégénérés de la deuxième catégorie, aux destructeurs.

L’étude des phénomènes réflexes nous montre la tendance naturelle aux mouvements de défense contre les excitations venues du dehors. L’utilité de ces mouvements est incontestable, et est tellement évidente pour l’individu pris isolément, que l’idée de vengeance est pour lui inséparable de l’idée de justice ; on ne peut nier le désir naturel de représailles (Stuart Mill) qui est en somme la base du droit de punir, et résumait la justice dans les sociétés anciennes. Si l’on admet en effet que c’est la certitude du châtiment qui prévient le plus sûrement le crime (Platon, Montesquieu, Beccaria, etc.), il faut convenir que le droit de punir et la justice sont inséparables ; et la fonction des justiciers consiste à établir le plus strictement possible la persuasion qu’il n’existe aucun lieu sur terre où le crime puisse rester impuni. Mais le droit de punir se ressent toujours de son origine, il ne fait, en somme, que consacrer l’existence du désir naturel de vengeance individuelle au service duquel se met la force publique. On a contesté la légitimité des peines, soit parce qu’elles reposaient sur un principe hypothétique, comme un soi-disant contrat consenti entre les hommes au moment où ils se sont mis en société (Hobbes, Locke, Grotius, J.-J. Rousseau, Beccaria, etc.), ou encore sur l’origine divine de l’expiation (Leibnitz, J. de Maistre) ; soit parce qu’elles ne remplissent pas le but qu’elles se proposent d’atteindre. Est-il juste de punir pour l’exemple, quand il est certain que l’exemple est souvent un frein insuffisant et n’arrête guère les criminels.

On ne peut guère non plus soutenir que la punition puisse être imposée pour le bien du patient lui-même : le criminel, comme le fou, agit mal parce qu’il sent mal et raisonne mal ; sa sensibilité ne peut pas être modifiée par un châtiment.

S’il est insoutenable que le désir individuel de vengeance et l’utilité générale coïncident toujours ni même fréquemment, la vengeance ne peut être la formule de la justice dans un état social qui a pour base une assurance mutuelle contre les risques du dedans et du dehors. Dans un tel état, la peine peut servir à renforcer les motifs de ne pas mal faire, à prévenir quelques crimes à venir, mais elle ne peut pas constituer toute la justice.