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LA SCIENCE POSITIVE DE LA MORALE EN ALLEMAGNE


Nous ne connaissons guère en France que deux sortes de morale : celle des spiritualistes et des kantiens d’une part, celle des utilitaires de l’autre. Cependant il s’est depuis peu constitué en Allemagne une école de moralistes qui a entrepris de constituer l’éthique comme une science spéciale, ayant sa méthode et ses principes. Les différentes sciences philosophiques tendent de plus en plus à se détacher les unes des autres et à se dégager des grandes hypothèses métaphysiques qui leur servaient de liens. La psychologie n’est plus aujourd’hui ni spiritualiste ni matérialiste. Pourquoi n’en serait-il pas de même de la morale ?

La Morale que M. Wundt a publiée en octobre dernier[1] est venue donner un corps à ces tentatives qui étaient restées jusque-là un peu indécises et mal conscientes d’elles-mêmes et du but où elles tendaient. Pour bien comprendre cet important ouvrage, il est nécessaire de connaître le mouvement dont il est, peut-on dire, l’expression philosophique. Cette étude est d’ailleurs d’autant plus nécessaire que tous ces travaux sont plus ignorés chez nous ; et pourtant ils n’offrent pas seulement un intérêt historique. Nous verrons en effet qu’on peut en dégager de précieuses indications sur la direction qu’il convient de donner à la morale si on veut l’élever au rang de science[2].

I

Économistes et sociologistes.

Lorsque M. Ribot fit connaître au public français l’état de la psy-

  1. Ethik, eine Untersuchung der Thatsachen und Gesetze des sittlichen Lebens, von Wilhelm Wundt. VI.-577 p., Stuttgart, 1886.
  2. Bien entendu ce mouvement n’est pas le seul qu’il y ait en ce moment en Allemagne. Les Kantiens restent nombreux et la morale utilitaire commence à s’y répandre ; The data of Ethics de Spencer y a eu plus de succès que ses autres ouvrages. Seulement ces deux mouvements n’ont rien d’original.