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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

domesticité[1], qui était à Paris de 112 031 en 1872 et qui est montée à 178 532 en 1881. En 1872, 58 622 domestiques étaient attachées aux personnes vivant de leurs revenus et aux personnes exerçant des professions libérales ; en 1881, il y en avait 82 511[2]. Ces chiffres semblent indiquer d’une part que les riches ont de plus en plus besoin des excitations du luxe et de secours étrangers, et que les pauvres ont de plus en plus des tendances à sacrifier leur liberté et leur dignité à un bien-être relatif acquis avec le moins de peine possible, à un travail stérile. Il faut remarquer d’ailleurs que ce sacrifice est souvent le prélude d’une évolution décidément antisociale. Parent-Duchâtelet a montré que les femmes issues de la domesticité fournissaient un contingent considérable à la prostitution, et les statistiques récentes montrent qu’on peut attribuer à la domesticité un plus grand nombre d’accusés qu’aux ouvriers du commerce, de l’agriculture et de l’industrie.

IX

Nous voyons en somme que, si les médecins ne peuvent pas s’entendre sur les limites à assigner à la raison et la folie, ils ne sont pas plus en mesure de tracer une ligne de démarcation précise entre la folie et le crime. D’autre part, les anthropologistes qui se sont attachés à la description des monstruosités du criminel, ne sont arrivés qu’à établir des probabilités ; ils n’ont pas réussi à séparer d’une façon indiscutable non seulement le criminel de l’aliéné, du dégénéré, mais pas même de l’homme réputé sain. Enfin l’étude des dégénérescences peut jeter un certain jour sur l’origine de la criminalité ; mais elle ne fait que mettre plus en évidence les analogies qui existent entre les différentes catégories de décadents, et elle est incapable de servir à établir des distinctions. Dans l’état actuel, l’étude généalogique, anatomique et physiologique d’un individu est insuffisante pour décider s’il a été, est ou sera un criminel ; elle ne peut donc servir de base à une mesure préventive ou coercitive quelconque. Ce serait une faute que de paraître admettre que la question de la criminalité est résolue par les études médicales ou anthropologiques ; médecins et anthropologistes n’ont, comme le public, qu’un seul et même critérium du criminel, c’est la preuve matérielle du crime.

Quant à décider si, sous prétexte de trouble mental, un individu dûment reconnu l’auteur d’un crime doit être considéré devant la

  1. G. Salomon, La domesticité (Nouvelle Revue, février 1886).
  2. La population de Paris était en 1872 de 1 988 806 habitants et de 2 269 023 en 1881.