Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
358
revue philosophique

choses, et par une recrudescence à peu près parallèle de la criminalité.

Mais ce n’est pas seulement sous ces formes que se manifeste l’impuissance à la lutte. J’ai essayé ailleurs de montrer comment le pessimisme se trouve lié à l’épuisement[1] ; la statistique du pessimisme est d’ailleurs impossible et on ne peut pas comparer directement ses progrès à ceux de la criminalité et des autres formes de dégénérescence. Cependant il est une manifestation objective du pessimisme qui se prête au calcul : c’est le suicide. Or l’augmentation progressive du nombre des suicides est un fait bien établi[2] ; il est surtout fréquent chez les criminels et les aliénés ; mais il croît plus vite encore que la criminalité et l’aliénation. M. Tarde a bien montré qu’en somme, contrairement à ce qu’ont dit MM. Ferri et Morselli, le suicide et l’homicide vont de pair ; et même se suivent suivant les saisons et les âges.

Il n’y a pas lieu d’être surpris de voir que le nombre des divorces et des séparations de corps[3] s’accroisse de concert avec celui des suicides, et conséquemment avec celui des dégénérescences et des malfaisances de tout ordre. Les malformés, les dégénérés, les impotents de tout ordre, condamnés à la souffrance par les vices de leur organisation, sont les conséquences nécessaires de leurs antécédents et de leur milieu qui favorise aussi le développement du pessimisme et du suicide ; rien de surprenant à ce que les conditions qui donnent naissance à des individus qui sont incapables de supporter leur propre sort, produisent une autre catégorie d’antisociaux incapables de s’adapter à une association quelconque. D’ailleurs on a remarqué depuis longtemps que les aliénés se cherchent et se trouvent ; il n’est pas rare de trouver dans les familles de névropathes des exemples de sélection dégénérative[4] ; il n’est pas douteux que le vice et le crime donnent souvent lieu à des accouplements du même genre et tendant naturellement à la destruction.

Aux faits précédents qui semblent trahir une impotence progressive de la race coïncidant avec une augmentation de la recherche des jouissances, on peut ajouter l’augmentation progressive de la

  1. Revue philosophique, juillet 1886. — Sensation et mouvement, in-18, 1887, p. 129.
  2. A. Bournet. — De la criminalité comparée en France et en Italie, th. de Lyon, 1884.
  3. Bertillon, Étude démographique sur le divorce et la séparation de corps (Ann. de démographie, 1882).
  4. M. Sėglas en a cité d’intéressants exemples (Ann. méd. psych. 1887, t.  V, p. 171).