Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
357
FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

sensibilité et les désirs, et par conséquent elle tend plutôt encore à exagérer la disproportion qui existe entre les besoins et les moyens de les satisfaire. Si la criminalité est relativement faible dans les professions libérales, c’est précisément parce que l’instruction particulière qu’ont reçue ceux qui les remplissent, leur fournit des armes de choix dans la lutte pour l’existence ; quand cette même instruction reste incomplète, purement théorique et anachronique, elle mérite bien la qualification d’anti-sociale et tous les reproches que lui adressait Bastiat[1]. On accusera peut-être un jour l’instruction obligatoire d’avoir supprimé la réserve de la race.

M. Tarde montre que la criminalité est plus considérable dans la classe industrielle et commerciale. Cette prédominance peut peut-être s’expliquer par le fait que c’est cette classe qui joue le plus grand rôle dans le travail d’adaptation et par conséquent s’use le, plus, et arrive plus vite à l’épuisement.

Les surmenés de tout ordre cherchent à lutter contre l’épuisement par des excitations diverses : luxe de l’habillement, de l’ameublement, de l’alimentation, plaisirs du corps et de l’esprit ; l’alcool, le tabac, le thé, etc., semblent ranimer momentanément ces êtres dégénérés, mais d’autant plus irritables qu’ils sont plus affaiblis ; ils deviennent véritablement explosifs, sous l’influence des excitations auxquelles ils sont soumis.

Le besoin d’excitation augmente à mesure que l’individu ou la race s’affaiblit. Chaque excitation nouvelle laisse à sa suite un épuisement proportionnel, de sorte qu’elle contribue en fin de compte à précipiter la dégénérescence. Et, chose remarquable, « l’individu dégénéré, comme le fait remarquer Maudsley[2], est attiré par les relations hostiles à son bien-être, par celles qui augmentent sa dégénération et qui tendent à le supprimer. » La justesse de cette observation se retrouve jusque dans le régime choisi spontanément par les dystrophiques, par les anémiques, les goutteux, les diabétiques. Il n’est pas nécessaire d’insister sur le rôle que l’abus de la boisson et de la débauche peut jouer dans l’accélération de la décadence, qui se manifeste à la fois par l’augmentation des maladies par ralentissement de la nutrition, des névroses, des psy-

  1. Bastiat, Baccalauréat et socialisme (Œuvres complètes, t.  IV, p. 443). — Lorsque, soutenant dans la presse, l’admission des étudiantes en médecine aux concours des hôpitaux, je disais qu’en refusant aux femmes sorties de l’enseignement secondaire l’accès des écoles supérieures où elles pouvaient trouver une profession, on n’aboutirait qu’à créer une aristocratie de la prostitution, j’avais des exemples sous les yeux ; ils se sont multipliés depuis.
  2. Physiologie de l’esprit, trad. fr.  p. 365.