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Or dans les conditions actuelles de la lutte pour l’existence, et en particulier dans les villes, c’est surtout le système nerveux central qui supporte les frais du travail d’adaptation. Il faut d’ailleurs remarquer que l’épuisement du système nerveux peut résulter tout aussi bien d’efforts physiques que d’efforts intellectuels ; il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les fonctions nerveuses soient plus souvent atteintes. Il y a longtemps que Tissot a insisté sur ces effets du surmenage.

Un des principaux effets de l’épuisement nerveux est l’incapacité de l’effort soutenu. Il est vrai que chez les sujets congénitalement sains et bien entretenus, le travail excessif ne détermine qu’une fatigue en général facilement réparable ; mais si à ce travail excessif se joignent des privations de toutes sortes, il en résulte un épuisement plus profond et plus durable, qui non seulement favorise la déchéance individuelle, mais encore prépare les aptitudes morbides de la génération suivante. C’est moins en raison de la fatigue personnelle, qu’en raison de l’épuisement héréditaire, du surmenage capitalisé que la race subit l’impôt progressif de la dégénérescence, et devient moins capable d’efforts productifs[1].

C’est de l’incapacité d’effort soutenu que résulte la paresse si particulière aux dégénérés de tout ordre, fous moraux, criminels, etc. Or comme il faut à ces sujets non seulement des aliments pour soutenir leur existence, mais encore des excitants spéciaux pour relever leur vitalité défaillante, la nécessité s’impose à eux de s’entretenir aux dépens d’efforts qu’ils sont incapables de produire eux-mêmes, aux dépens du travail d’autrui. Ils y arrivent par la ruse, ou par l’effort violent une fois donné.

Cette tendance à vivre de l’effort étranger est d’autant plus intense que l’exemple montre la voie ; aussi la criminalité est-elle plus fréquente dans les grandes villes. Les hommes, qui se déplacent plus et vivent plus en commun, sont plus sujets à la criminalité violente au moins que les femmes, qui vivent plus sédentaires et sont d’ailleurs plus passives dans le mouvement de la civilisation.

L’instruction ne modifie en rien la marche ascensionnelle de la criminalité. Il n’y a guère lieu de s’en étonner ; en effet, l’instruction ne pourrait avoir d’action utile qu’en augmentant les ressources pour la concurrence de ceux qui sont déshérités congénitalement. Lorsqu’elle ne comble pas la différence, elle ne fait que développer la

  1. Ch. Féré, Le surmenage scolaire (Progrès médical, février, 1887). Dans leurs communications à l’Académie de médecine (juillet 1887), MM. Lancereaux et Féréol ont à leur tour insisté sur le rôle de l’hérédité dans la production des accidents attribués au surmenage.