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FÉRÉ.dégénérescence et criminalité

constamment troublées depuis l’enfance jusqu’à la mort (folies héréditaires de Morel, folies dégénératives de Krafft-Ebing), et chez lesquels il existe plus souvent que chez les fous occasionnels des stigmates anatomiques et biologiques permanents. Au bas de l’échelle des dégénérés on trouve l’idiot qui avec une déchéance psychique présente des caractères somatiques aussi plus nets, qui peuvent être mis en parallèle avec les caractères somatiques des plus inférieurs des criminels, ceux qui ont été condamnés à mort pour l’atrocité de leurs forfaits, et qui peuvent être considérés comme des idiots moraux. Mais un seul caractère ou même un groupe de plusieurs caractères anatomiques ou physiologiques, ne peut pas permettre de prévoir qu’un individu deviendra à coup sûr un aliéné[1] ou un criminel.

Non seulement la criminalité et la folie sont liées par une parenté évidente et par une certaine communauté phénoménale ; mais leur développement paraît subordonné aux mêmes conditions sociales. Il est certain que la criminalité et la folie augmentent parallèlement à la civilisation.

Il n’y a pas lieu de s’en étonner : la civilisation, en effet, le développement des sciences et de l’industrie sont la conséquence de la nécessité de l’adaptation au milieu. Les modifications cosmiques sont extrêmement lentes, mais elles déterminent des modifications organiques de l’espèce qui sont beaucoup plus rapides. Les hommes deviennent peu à peu incapables de s’accommoder des ressources dont se contentaient leurs ancêtres ; la consommation en aliments, en excitants, en matières à satisfaction de tout ordre s’accroît de jour en jour. Pour satisfaire ses besoins sans cesse multipliés, l’homme s’épuise à la lutte contre les éléments, et c’est pour compenser les effets de cet épuisement qu’il s’efforce d’appeler au secours de ses bras défaillants les ressources de son esprit qui vont compenser par des inventions multiples l’insuffisance de ses forces propres. Mais chaque effort nouveau d’adaptation, chaque progrès de ce que nous appelons la civilisation, est une nouvelle cause d’épuisement qui se manifeste toujours avec plus d’intensité sur les individus les plus affaiblis. Ces individus deviennent bientôt incapables de continuer la lutte, et succombent soit à des troubles généraux de la nutrition, soit à des dégénérescences plus ou moins localisées, se traduisant par des affections organiques diverses ou des troubles fonctionnels prédominant vers l’organe le plus faible.

  1. Ch. Féré et Séglas, Contribution à l’étude des variétés morphologiques du pavillon de l’oreille humaine (Revue d’anthropologie, 1886).