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blir la distinction du fou et du criminel, correspond dans la construction de M. Garofalo une déduction non moins subtile : « Cette différence importe beaucoup au point de vue de la science pénale ; elle fournit la possibilité de justifier la peine de mort, qui aurait l’air d’une cruauté inutile si on considérait les criminels comme des êtres souffrants et par là même ayant droit à notre pitié, à notre sympathie même, parce que le crime n’est chez eux qu’un accident de leur infirmité, non l’effet de leur caractère ou de leur tempérament. » Que le crime soit la conséquence accidentelle d’une infirmité ou d’un tempérament ou d’un caractère, son auteur n’en est pas moins dans un cas que dans l’autre un simple réactif que rien ne peut modifier.

En somme, M. Garofalo n’a fourni aucun document capable d’établir la distinction entre l’anomalie psychologique du criminel et l’anomalie de l’aliéné. Quant à la limite entre l’anomalie du criminel et l’état normal, elle ne paraît pas l’avoir préoccupé. La soi-disant anomalie psychologique du criminel n’est isolée ni de l’état normal ni de l’état pathologique, et elle n’est caractérisée par aucun fait objectif ; c’est une construction purement hypothétique dont on ne peut tirer aucune déduction, et qui ne mérite d’être ni opposée, ni comparée à l’anomalie de M. Lombroso, qui repose sur quelques données anatomiques et biologiques précises et peut fournir au moins des probabilités.

VIII

Il résulte de ce qui précède que, ni les médecins ni les anthropologistes ne sont parvenus à distinguer catégoriquement par ses caractères objectifs facilement reconnaissables le criminel, soit de l’homme sain, soit de l’aliéné. Aussi bien devant la science que devant le sentiment vulgaire, le malfaiteur n’est caractérisé que par son méfait. Les criminels d’habitude et les criminels occasionnels ne sont séparés par aucun signe objectif, tous sont des criminels nés avec une différence d’intensité dans la prédisposition, différence qu’on ne peut apprécier qu’a posteriori.

Un seul fait positif que nous avons déjà relevé, c’est la parenté de la criminalité et de la folie et de la dégénérescence en général, parenté qui se trahit par la coïncidence fréquente du crime et de la dégérescence soit chez le même individu, soit dans la même famille. On peut mettre, en regard des criminels occasionnels et des criminels d’habitude, les fous occasionnels à accès plus ou moins aigus et passagers, et les fous habituels dont les fonctions psychiques sont pour ainsi dire